La Loi face au phénomène NFT

Le code informatique peut-il faire la Loi? Le Droit est-il en passe de devenir obsolète dans le monde de la crypto et des NFT? L'UCLy a invité chercheurs et spécialistes à se pencher sur ces questions lors du colloque « Les NFT saisis par le Droit », sous la direction scientifique de Tristan Girard-Gaymard, Maître de Conférence à l'UCLy, et Iony Randrianirina, Maître de conférence à l'Université Grenoble Alpes.

C’est quoi, un NFT ?

La question paraît simple, mais elle résume déjà toute la difficulté de l’exercice : Les NFT sont difficiles à appréhender. Ces « jetons non-fongibles » (Non-Fungible Tokens) sont des fichiers numériques attachés à un objet, réel ou virtuel, appelé le sous-jacent. Ils sont uniques, et leur authenticité est garantie par la blockchain.

Pour le grand public, les NFT sont surtout connus pour leur irruption dans le milieu de l’art. Dans un monde ou règne le copier-coller, ils promettent aux acheteurs la possibilité de « posséder » une œuvre numérique. Pourtant, ce jeton ne donne pas de droits sur l’œuvre, sa copie ou son utilisation. Seul le jeton lui-même est échangeable. Un peu comme si vous achetiez le certificat d’authenticité d’un tableau…sans avoir le tableau chez vous !

Dans la Loi, les NFT sont un « objet juridique non-identifié » selon le mot de Nicolas Balat, Professeur à l’Université Aix-Marseille. « Seul un programmeur pourrait en donner une définition exacte » s’amuse William Dross, professeur à l’Université Lyon 3. « Pour un juriste, c’est plutôt une question de qualification. » Alors, dans quelle case faire rentrer cet étrange objet ?

Les chercheurs préfèrent se concentrer sur l’utilisation des NFT, plutôt que sur leur nature. « Unanimement, les orateurs ont souligné que le NFT ne peut être appréhendé qu’à partir de son sous-jacent » observe Tristan Girard-Gaymard. Impossible de catégoriser les NFT dans leur ensemble, mais chaque application (œuvres d’art numériques, véhicules connectés, ou même tatouage publicitaire) trouvera son équivalent, ou au moins une analogie convaincante. Comme le note Iony Randrianirina « Cela fait certainement appel à la créativité des juristes ! »

« Cette journée était un défi : le défi de l’incorporel. » résume Tristan Girard-Gaymard. « Les NFT se situent au confluent du monde réel et corporel et de celui de l’immatériel et de l’incorporel, ce que les anthropologues appellent la représentation. »

Les NFT se situent au confluent du monde réel et corporel et de celui de l’immatériel et de l’incorporel.

Tristan Girard-Gaymard, Maître de conférence à l'UCLy.

La Loi, pas si désarmée...

En 1999, Lawrence Lessig publiait un livre au titre devenu culte : « Code is law. » Cette petite phrase est devenue un cri de ralliement pour de nombreux enthousiastes de la blockchain, qui imaginent l’émergence d’un monde virtuel décentralisé, régulé par le seul code informatique, sans intervention de l’État. Ce « far west légal » peut-il devenir réalité ? Cécile Pellegrini, enseignante-chercheuse à l’UCLy, en doute : « Le code de la blockchain ne constitue en rien une entité juridique autonome » explique-t-elle.

« Il faut être prudents » renchérit Marion Briatta, enseignante-chercheuse à l’UCLy et spécialiste du Droit de la contrefaçon. « Les NFT sont intéressants, mais ils ne sont pas si révolutionnaires que ça ! » Que ce soit dans le droit pénal, dans la finance ou à l’international, le monde réel a tendance à se rappeler au virtuel. Et en cas de litige (et ils sont fréquents !) ce sont les juges plutôt que les programmeurs qui se saisissent d’un dossier.

Dans l’ensemble, les participants au colloque adhèrent à la formule de Nicolas Balat : « Face à un nouveau phénomène, il existe trois temps de réflexion. Le premier est celui de la nouveauté, qui donne l’impression de devoir tout réinventer. Le deuxième temps consiste à faire rentrer le phénomène dans des cases existantes. Le troisième, avec l’analyse, montre les spécificités réelles qui exigent des adaptations du Droit. »

Avec les NFT, comme avant eux le Minitel, les emails ou les cryptomonnaies, le Droit s’adapte, sans révolution.

Un guide pour l’avenir du Droit

Au travers de ces analyses, les chercheurs du congrès constatent l’émergence d’une nouvelle façon de faire du Droit, dans un monde dominé par les nouvelles technologies. « Il est indispensable que les futurs juristes soient au fait d’aspects techniques. C’est nécessaire dans nos démarches scientifiques, mais aussi pédagogiques » explique Michel Cannarsa, Doyen du Pôle Sciences Juridiques Politiques et Sociales de l’UCLy. « Les nouvelles technologies ne peuvent pas se lire sans une approche pluridisciplinaire, de l’ingénierie aux neurosciences, en passant par le Droit ou la philosophie. »

Il est indispensable que les futurs juristes soient au fait d'aspects techniques.

MIchel Cannarsa, Doyen du Pôle sciences juridiques politiques et sociales de l'UCLy.

Une démarche qui se poursuivra dès le 21 et 22 avril prochain, pour un colloque consacré aux métavers, sous la direction scientifique de Michel Cannarsa. Il s'agit presque d'une extension du sujet pour l'UCLy, car les NFT ont libre cours dans ces univers en réalité virtuelle, dont les applications pourraient aller du jeu vidéo à la finance, en passant par la santé et l’éducation.  Face à cette technologie en plein développement, il est indispensable pour les juristes d’imaginer les jalons du Droit dans ce nouveau monde numérique.

Colloque NFT

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