Elie Ayroulet théologie sciences patristiques saint irénée

« Saint-Irénée a une vision de l’homme très unitive et dynamique »

Le Pape François vient de reconnaître le Saint patron de l’UCLy, Saint Irénée, docteur de l’Église avec le titre de doctor unitatis… Docteur de l’unité. Frère Elie Ayroulet, patrologue et vice-Doyen de la Faculté de Théologie de l’UCLy est le coordinateur et le premier rédacteur de la positio* pour la cause d’Irénée docteur de l’Église. Rencontre.

Pourriez-vous nous expliquer ce que signifie « docteur de l’Église » ?

Elie Ayroulet : C’est un saint dont l‘éminence de la pensée théologique ainsi que spirituelle est considérée et reconnue comme ayant enrichi significativement la doctrine de la foi chrétienne.

Outre la sainteté de vie, ce sont le degré d’excellence et la pertinence de la doctrine qui retiennent l’attention. La doctrine doit être sûre, originale, et avoir un rayonnement et une influence dans l’Église vérifiés au cours des âges..

Pourquoi le pape François a-t-il donné le qualificatif de docteur de l’Unité à Irénée?

E.A : L’unité peut être perçue comme l’harmonique principale de sa théologie tant dans son contenu que dans sa méthode. Toute sa réflexion se caractérise par cette dynamique et cette notion de l’unité. Et ceci dans toutes les dimensions de sa théologie : que ce soit sa réflexion sur Dieu, sur la création, sur l’Homme, le Christ, l’Écriture, l’Église, le salut…

Accolée au titre de docteur qui reste premier, cette qualification demeure cependant intéressante car elle montre la portée fondamentale de sa pensée.

Quel a été le chemin parcouru pour que Saint Irénée soit reconnu docteur de l’Église?

E.A : C’est une demande qui a été faite par le diocèse et le Cardinal de Lyon en 2017. Par la suite, Monseigneur de Germay a repris le flambeau. La demande doit venir de l’évêque du diocèse où a vécu le saint.

Depuis plus de trois ans, aux côtés des postulateurs ** nommés par l’Archevêque de Lyon et qui se sont succédé (l’actuel étant le Père Denis Baudot), je travaille au dossier de postulation de la cause d’Irénée comme docteur de l’Église pour la Congrégation de la Cause des Saints au Vatican.

Un processus en vue d’une cause de doctorat comporte différentes étapes (voir schéma récapitulatif ci-dessous). L’ultime étant la rédaction d’une positio. C’est un document écrit d’un peu plus de 500 pages justifiant sous différents aspects l’opportunité et la pertinence de reconnaître Irénée comme docteur de l’Église, et en particulier comme docteur de l’unité.

Comment avez-vous procédé pour écrire cette positio?

E.A : Je me suis entouré d’une équipe de spécialistes dont Marie-Laure Chaïeb (NB : Professeur de Théologie à l’UCLy) qui est l’une des plus grandes spécialistes d’Irénée aujourd’hui. Nous nous sommes efforcés de mettre en valeur l’unité comme longueur d’onde fondamentale de sa pensée.

La positio concerne à la fois sa vie, ses œuvres, une synthèse de sa doctrine, mais également la réception de sa doctrine et de ses œuvres, ainsi que son rayonnement jusque dans les œuvres d’art.

Pourquoi Saint Irénée n’a-t-il pas été reconnu docteur auparavant ?

E.A : Irénée reste très connu et vénéré en Orient. Chaque fois qu’un évêque ou patriarche d’une Église chrétienne orientale vient à Lyon, une des premières choses qu’il fait est de se rendre en pèlerinage à l’église Saint-Irénée, dans la crypte de laquelle se trouve le tombeau du saint évêque.
Dans l’occident latin, saint Augustin, lui-même docteur de l’Église, qui a vécu après Irénée, a sans doute pris l’essentiel de la lumière.

Il y a des évidences que parfois l’on ne voit pas. Et il y a des évidences que l’on repère et que l’on veut expliciter à un moment donné. L’explicitation correspond sans doute au moment opportun de l’histoire de l’Église. Mettre la lumière sur la dimension de l’unité dans la pensée de saint Irénée est d’une grande actualité non seulement pour l’Église catholique mais aussi pour toutes les autres Églises et communautés ecclésiales chrétiennes.

En quoi, selon vous, Saint Irénée est-il si contemporain ?

E.A : Déjà par sa vie, il est un pont entre l’Orient et l’Occident européen. Avec lui nous touchons les racines du christianisme en Europe.

Il est aussi un Père de l’Église indivise ***. Il a vécu avant toutes les divisions survenues ultérieurement. Aucun des conciles de l’Église qui sont venus après lui ne s’est inscrit en contrepoint de sa théologie. C’est remarquable. Tout chrétien peut se reconnaître dans sa pensée et sa manière de présenter la foi. Il est la source aujourd’hui de plusieurs échanges œcuméniques entre catholiques, orthodoxes et protestants.

Ses écrits sont largement étudiés à l’heure actuelle dans toutes les universités catholiques et les facultés de théologie.

Sa vision positive de l’Homme peut parler à nos contemporains. Elle est unitive, composée du corps, de l’âme et de l’esprit. Elle est aussi dynamique pensant l’homme toujours en croissance d’humanité au fur et à mesure qu’il s’approprie l’agir de Dieu en sa faveur. L’homme est pour lui en continuel développement, non pas un auto-développement à partir de lui-même, mais un développement dans le libre accueil qu’il réserve à la grâce divine.

Notre société est marquée par une pensée gnostique dualiste qui fonctionne par exclusion et opposition, une pensée qu’Irénée combattait déjà à son époque. Irénée n’a pas une pensée binaire mais au contraire une pensée qui articule, qui maintient l’unité dans la distinction. Sa vision de l’unité n’est pas non plus synonyme d’uniformité ou de monisme qui tend à tout confondre. Elle maintient la distinction dans l’unité.

Sa vision harmonieuse et symphonique de la création avec l’homme en son sein où « tout se tient » pour reprendre son expression peut aussi inspirer les questions écologiques qui se posent aujourd’hui.

Enfin, ce qui me rejoint plus personnellement, c’est l’homme et le pasteur qu’il était, à la fois un grand spirituel et un être rempli d’humanité. Il a été un grand amoureux de la Bible et la lecture et la transmission qu’il en a faite a été animée de l’Esprit Saint. Sa pensée a renouvelé complètement ma manière de faire de la théologie et lui a donné un souffle nouveau.

Lexique

Positio * : Rapport d’expertise théologique

Postulateur ** : C'est la personne chargée d’évaluer la dévotion qui s’est développée autour d’une personne dont la vie est populairement considérée comme chrétiennement exemplaire, en étudier la vie et les écrits pour en guider la cause de béatification, canonisation ou de doctorat de l’Église par le processus juridique établi par l'Église catholique.

Église indivise *** : Époque où l'Église n’était pas divisée entre l’Orient et l’Occident, entre le Catholicisme romain et l’Orthodoxie.

Qui était Saint-Irénée ?

Saint Irénée de Lyon a vécu au IIe siècle après JC (env. 130-202). Né à Smyrne, il a été disciple de saint Polycarpe, lui-même disciple de saint Jean l’évangéliste, apôtre de Jésus. Il est venu à Lyon et a été le deuxième évêque de la communauté chrétienne de cette ville après saint Pothin, mort durant les persécutions de 177. Il est considéré comme le premier grand théologien de l’histoire de l’Église.

Le 21 janvier 2022, le Pape François l’a reconnu Docteur de l’Église, en le qualifiant spécifiquement de « docteur de l’unité » : « Son nom, Irénée (Eirènè en grec signifie « paix ») exprime cette paix qui vient du Seigneur et qui réconcilie, réintègre dans l’unité. »

A la suite de saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux ou encore Hildegarde de Bingen, il est maintenant le 37ème docteur de l’Église proclamé pour l’apport éminent de sa pensée à l’explicitation et à la transmission de la doctrine de la foi chrétienne.

La reconnaissance du doctorat de l’Église d’Irénée résumée en 5 étapes

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