conférence atiq rahimi

Pour Atiq Rahimi

Romancier, scénariste, librettiste, cinéaste à la double nationalité Afghane et Française, Atiq Rahimi a reçu le Prix Goncourt, en 2008, pour Syngué Sabour. Pierre de patience. Fin mars dernier, les étudiants de Licence de Lettres Modernes de l’UCLy ont échangé avec lui sur son écriture et son histoire lors d’une masterclass assez exceptionnelle.

La parole est d'argent mais le silence est d'or

« Le temps s’est arrêté, j’ai pourtant le sentiment étrange de t’avoir vue hier, illusion, illusion, illusion, tu viens de me rappeler que cela fait deux semaines ou plus que l’on ne s’est pas vus (1). »

Lundi 29 mars, à 13h30, sur le campus Saint-Paul, nous étions une centaine d’étudiants en Lettres, quelques auditeurs libres, des professeurs, à chercher l’échange avec l’écrivain polymorphe et réalisateur. Il s’est passé quelque chose dans cet amphithéâtre de l'UCLy. Tu écoutais le public et parlais à chacun.

Nous disons « tu » parce que nous nous sentons si proches de toi. Tu t’adresses à nous, doux et précautionneux, l’œil empathique et le sourire naissant. Tu ne cherches pas à nous convaincre. Tu nous confies tes vies comme le ferait un aimé avec ses amis, sa famille, au coin d’un âtre ou d’une table. Tu es notre camarade ! Pouvons-nous t’appeler ainsi ? Surtout ne le prends pas mal, Il n’y aucune référence politique à ta mère patrie, l’Afghanistan, dont la cicatrice soviétique reste indélébile. Tu prônes l’égalité, tu vois la beauté où d’autres ne voient que la banalité. Camarade, nous sommes attachés à la même chaîne, pas de celle qui empêche mais qui lie les maillons les uns aux autres, qui crée un lien indéfectible !

Nous regardons cet horizon que tu nous montres comme le sage pointe le doigt vers la lune. Manteau rocheux comme les terres afghanes, cette lune de laquelle Cyrano tombe, relate-il dans cette tirade célèbre : « J'ai voyagé ! J'ai les yeux tout remplis de poudre d'astres. J'ai aux éperons, encor, quelques poils des planètes… c'est le ciel qui m'envoie. »

Shéhérazade et le sultan

Nous t’écoutons, Cyrano d’Orient, un chèche autour du cou et ton éternel chapeau vissé sur la tête. Toi, l’Indiana Jones littéraire en quête de liberté et de vérité(s) nous te suivons dans tes aventures. Nous marchons dans tes pas, chercheurs d’inspiration et amoureux des mots.

À l’odeur des citronniers, se mêlent celui du nard et de la myrrhe. Ta poésie a le goût de ta terre natale, elle porte le « chant » des possibles qui vibre d’une fréquence à l’autre selon les arts. Subrepticement, le vent s’engouffre dans la salle, nous entrevoyons la terre khaki et les montagnes du pays Pachtounes. Le scandement du Bhagavad-gita se fait entendre comme le murmure des Sirènes. Toi l’Ulysse afghan, « né en Inde, incarné en Afghanistan et réincarné en France », capitaine du navire sur lequel nous avons embarqué, afin de protéger nos chastes oreilles de l’appel des tentatrices, point de cire pour obstruer nos conduits auditifs mais tes mots. Seulement tes mots et le rythme de leur danse.

Capitaine, nous voyageons à tes côtés en terre Perse, en Inde, au Rwanda, à l’intérieur de nous-mêmes... Les grands penseurs orientaux s’invitent à bord de notre vaisseau. Certains personnages, apparitions spectrales venues de l’Orient médiéval, nous rendent visite : ici Shéhérazade et le sultan, là les oiseaux pèlerins du poète soufi Farid al-Din Attar (2).

La Ballade du Calame

Tu nous racontes le deuil. De ton frère et de ton pays. Tu nous dis ton exil, ce que tu as dû laisser derrière toi. « Une fois à la frontière, le passeur me dit de jeter un dernier regard sur ma terre natale. Je m’arrêtai et regardai en arrière : tout ce que je vis n’était qu’une étendue de neige avec les empreintes de mes pas. Et de l’autre côté de la frontière, un désert semblable à une feuille de papier vierge. Sans trace aucune. Je me suis dit que l’exil c’était ça, une page blanche qu’il faudrait remplir », retraces-tu dans la Ballade du Calame (3). Le calame, fin roseau taillé en pointe, dont tu te servais enfant pour tracer des lettres. Ton premier rapport à l’écriture est rituélique. Dans ta famille, écrire est un acte magique, tantôt salvateur tantôt pernicieux. « Ma mère avait peur des mots parce qu’elle y croyait. Elle croyait à leur magie, à leurs secrets insondables, à leur pouvoir maléfique ou archangélique… »

De la magie à l’alchimie, il n’y a qu’un pied de vers. Le Persan est une langue d’alchimiste. Sans genre, elle est l’unité, le féminin et le masculin fusionnés pour devenir le « petit roi », regulus poétique.

Un cœur noble et généreux 

Ton père a été victime de cet art délicat du maniement de la parole. Magistrat, il fut condamné en 1973 par le régime de Mohammad Daoud Khan qui venait de s’emparer du pouvoir. Sa faute ?  Il a de l’esprit. Il a osé un jeu de mots. Il a dit que le coup d’État avait fait tomber la première lettre de son pays. En Persan, « fghanistan » signifie « terre de cri et de plainte » … Mais comme l’écrit Victor Hugo, auteur que tu chéris, « Mes fils, soyez contents ; l'honneur est où vous êtes » (ndlr : poème À quatre prisonniers).

En effet, la parole peut être dangereuse dans le pays où tu es né. « Dire ou ne pas dire, c’est le questionnement essentiel en Orient. La censure religieuse ou politique nous empêche de tout dire. Exprimer la vérité peut mener à être condamné et même exécuté. Le silence est d’une certaine manière la survie. »

Atiq, si l’on traduit ton prénom de l’arabe au français, on entend « noble ». La définition littéraire de ce mot est la suivante : « Dont les qualités morales sont grandes. Exemple : un cœur noble et généreux ».  

Atiq, tu nous apprends que ce qui compte en Orient n’est pas la fin d’une histoire mais le sens qui la traverse. La fin est toujours le début d’une autre histoire. L’heure a sonné de nous séparer. « Inachevons » ensemble cette rencontre qui nous mènera à d’autres. Le chemin à suivre est ton œuvre, inachevée elle aussi. Quittons-nous aujourd’hui avec ce court poème de Rumi, un de tes auteurs préférés : « Ne perds jamais espoir, mon cœur, des miracles se préparent dans l’invisible. »

NOTES :

(1) Si seulement la nuit, Alice et Atiq Rahimi, Éditions P.O.L

(2) Les Mille et Une Nuits, La Conférence des oiseaux du poète iranien Farîd al-Dîn Attâr

(3) La Ballade du calame. Portrait intime aux éditions L'Iconoclaste.

A venir: Colloque international "Atiq Rahimi passeur de frontières" du lundi 2 mai 2022 organisé par l'Unité de Recherche de l'UCLy sur le campus Carnot.

Atiq Rahimi, en quelques mots et dates

Atiq Rahimi est né en 1962 à Kaboul en Afghanistan.  Il a fait ses études dans un lycée franco-afghan de Kaboul puis a étudié la littérature à l’université.

En 1984, il quitte l’Afghanistan pour le Pakistan à cause de la guerre. Puis, il obtient l’asile politique en France où il poursuit des études de communication à la Sorbonne.

Il est l’auteur de huit livres dont Terre et Cendres, Syngué Sabour, Pierre de patience qui obtient le prix Goncourt 2008, Maudit soit Dostoïevski

Il a réalisé deux films documentaires et trois de fiction dont l’adaptation en 2013 de Syngué Sabour, Pierre de patience avec Golshifteh Farahani dans le rôle principal.

En 2022, l’opéra Shirine dont il signe le livret, est présenté à l’Opéra de Lyon.

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