Amphi-Incertitude et espérance, journée théo-philo ucly - 4 mai 2021

Incertitude et espérance, un moment pour l'essentiel ?

Retour sur la journée interdisciplinaire des Facultés de Théologie et de Philosophie

« Penser, c’est nager au milieu du chaos pour éviter la submersion »

Juan Ortega y Gasset

Qu’il était bon de se retrouver ! À l’heure où nous sommes nombreux à penser à la réouverture des terrasses, restaurant et cinémas, ainsi que tout autre lieu de culture similaire, je crois qu’il a été essentiel aux étudiants, doctorants et enseignants que nous étions de nous retrouver pour faire cette activité si nécessaire, si gratuite, la seule richesse qui, lorsqu’on la partage, ne s’amenuise pas : penser. Et penser à plusieurs, c’est mieux ; penser en présence des uns des autres, mieux encore.

Incertitude et espérance : un moment pour l’essentiel ?

Tel était le titre de la journée interdisciplinaire des Facultés de Philosophie et de Théologie. La référence à la COVID n’est presque pas cachée. Avec l’équipe animatrice de la journée, il nous semblait à propos de trouver un thème qui permettait à la fois de rejoindre notre actualité et en même temps de prendre avec elle de la distance, de pouvoir la réfléchir, faire retour sur elle, sans se laisser submerger par elle.

L’incertitude peut faire figure de « mot-valise »

mais il a l’avantage de se référer à une expérience que nous avons tous connue à un moment de notre vie, et a fortiori en cette période de crise sanitaire : naviguer à vue, voire sembler ne plus naviguer du tout, se jeter à corps perdu dans le brouillard. Il ne s’agit pas de l’adrénaline de l’inattendu et à l’aventure programmée, mais à l’angoisse d’un lendemain pire qui paraît ne jamais finir d’arriver et d’une expérience douloureuse sans fin. Elle pose la question du sens de notre existence lorsqu’il ne semble plus possible de pouvoir la contrôler, la réglementer, la planifier dans tous ses aspects ; lorsque le fait d’avoir un plan A et un plan B ne fait pas de différence, et que ça ne sert à rien.

Une question aiguë pour des jeunes adultes

Nous trouvions que la question était particulièrement aiguë pour des jeunes adultes, même si elle impacte tout le monde, et même si nous vivons dans des contrées civilisées, car cette interpellation rendait d’autant plus vive la question du sens de notre existence : questions que se pose toute personne qui pense – et donc le philosophe – et toute personne qui croit – et donc le théologien. Il était urgent d’entrevoir des voies de réponses possibles, sans fuir la question.

L’espérance ne va pas d’emblée avec l’incertitude 

Après tout, peut-être que rationnellement, nous n’avons pas beaucoup de raison d’être optimistes, quand bien même notre tempérament nous y pousserait. Mais l’espérance est une vertu : quelque chose qui se cultive, quelque chose que veut l’intelligence comme la foi, pour s’exprimer, s’orienter, se structurer.  L’espérance n’est pas l’espoir à court terme, des solutions d’urgence faites pour l’urgence. Mais, comme le rappelait la Docteure Christine Bouvier-Müh, elle est ce qui implique un dépassement de l’immédiat tout en le comprenant. Madame Bouvier-Müh l’illustra par notre rapport à la recherche de l’humain que constitue la culture, notamment dans la littérature. Le Professeur Jean-Marie Gueulette est allé dans ce sens aussi, lorsqu’il nous a rappelé, d’un point de vue éthique, la dilatation de notre esprit qui s’ouvre à l’autre, et donc à plus que lui. En termes plus concrets, on ne n’agit plus que pour se protéger soi, on est obligé de se repenser comme corps au niveau de la société.

L’espérance est d’abord une vertu « théologale », après la foi et l’amour (charité, agapê

Elle dit Dieu et mène à Dieu, dans une perspective théologique. Notre pari était que l’espérance devait être aussi une vertu à cultiver par le philosophe – croyant ou non – qui, par méthodologie, ne peut partir du luxe de la Révélation. La raison est mise en question elle-même de manière radicale par la condition d’incertitude de l’homme que le contexte révèle cruellement : sert-elle à quelque chose ? Quel sens peut bien avoir l’existence ? A-t-elle-même un sens ?

La personne de foi ne peut pas non plus se consoler de sa croyance de manière aveugle et naïve. Robert Cheaib nous l’a bien montré avec un parcours biblique et existentiel, en nous faisant voyager entre philosophie et théologie (dans la Bible) sur l’expérience de ce Dieu qui se tait, et qui pourtant se révèle éminemment dans ce silence. N’y a-t-il pas quelque chose de pervers dans ce Dieu qui se cache ? Ou bien s’agit-il du plus grand respect de notre liberté sans justifier béatement pour autant de la souffrance ?

Une forte participation aux ateliers

Les ateliers furent variés, et la participation des étudiants et étudiantes eux-mêmes a été extrêmement réjouissant. Ceux et celles de philosophie notamment ont animé deux « cafés-philo » avec cette question de fond : « Comment faire lorsque l’incertitude touche au sens de notre existence ? »

Il ne s’agissait pas tant de faire une psychothérapie de groupe avec une tonalité de soirée mondaine, ou saupoudré de spiritualité. Mais il ne faut pas négliger le pouvoir de guérir de la pensée elle-même. Et nous avions besoin de sortir de l’immédiateté de l’actualité, de l’angoisse de l’avenir plus ou moins proche ou lointain, de l’urgence de survivre au quotidien pour retrouver celle de penser et d’espérer, de se donner un cap, malgré et peut-être à cause des circonstances actuelles. L’espoir vise le lendemain à court terme ; l’espérance là où vous voulez conduire votre vie. D’où la dimension de question de notre thème : « un moment pour l’essentiel ? ».

Et pour la suite ?

Rien ne gage que le « monde d’après » ne ressurgira pas, ou que nous tirerons les leçons écologiques, politiques, sociales, économiques ou relationnelles de cette crise « inédite pour nous », car nous n’en n’avons plus connu de telles de mémoire d’homme. Le retour à l’essentiel, ce serait peut-être le retour à ce qui donne consistance à notre existence, ce pour quoi nous la vivons, ce pour quoi nous voulons aussi la donner. Ce n’est qu’une invitation aussi, au niveau personnel : cela réveille des blessures, bien souvent profondes, cela réveille aussi des opportunités de discernement, de choix, de projet.

Il était heureux que théologiens et philosophes, étudiants et enseignants se réunissent tous ensemble.

Nous avons retrouvé – même si ce fut trop court – cette dimension de communauté qui fait sens aussi pour nous, êtres sociaux. Êtres pensants, mais relationnels : pour partager, échanger, se confronter. Car ce n’est qu’ensemble qu’il est possible d’opérer ce mouvement commun à la philosophie et à la théologie : déplacer le regard, de l’urgent à l’essentiel.

Maxime Begyn
Doctorant – Enseignant
Faculté de Philosophie

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