Quelques enseignements de la dernière édition des Journées de l’UCLy

Discours de clôture de la dernière édition des Journées de l'UCLy "Tant de crises.. Temps d'espérance" prononcé le 11 avril dernier par Emmanuel Vivier, Médecin anesthésiste réanimateur, Président de la CME de l'hôpital Saint Joseph Saint Luc, membre du Conseil d'Orientation de la Chaire de l'UCLy sur les Vulnérabilités.

Discours de clôture d'Emmanuel Vivier

Au moment où ces journées de l’UCLy s’achèvent, il est venu le temps de vous faire une révélation...

... Nous avons trouvé un remède contre la vulnérabilité !

Ce n’est pas récent. Il faut remonter à 1764. Suivant une légende ancestrale et sur les conseils des paysans du massif qui encadre le monastère, Frère Jérôme Maubec, Grand Apothicaire de l’ordre des Chartreux, identifie une belle fleur jaune aux feuilles rondes qui ne pousse qu’au-delà de 1500 mètres d’altitude. Et il va l’intégrer à son élixir à la composition secrète. Cette plante a des propriétés de guérison infinie.

C’est la naissance de la boisson jaune ou verte que vous connaissez : La Chartreuse.

Le nom qu’il donne à cette fleur : la vulnéraire des chartreux.

La plante qui soigne et soulage les plaies et blessures.

Pourquoi cette histoire ?

Le contraire de la vulnérabilité ne serait pas l’invulnérabilité, mais plutôt la vulnérarité, soit la capacité de se réparer, se relever, se remettre en mouvement et de regarder vers l’avenir.

Voici quatre ans qu’avec mes collègues du Conseil d’Orientation de la Chaire d'Université de l’UCLy sur les vulnérabilités : le Médecin général Sylvain Ausset, le Père Olivier Artus, la Professeure anthropologue Valérie Aubourg, l’économiste Patrick Artus, l’industriel Guy Sidos, l’entrepreneur Élisabeth Ayrault, l’ancien Maire et chirurgien, Georges Képénekian nous dissertons sur ce mot un peu insondable de « vulnérabilité »

Lorsque le Recteur Olivier Artus a prononcé devant moi pour la première fois ce terme de vulnérabilité, j’ai été un peu dérouté. Comment des médecins, des entrepreneurs, des politiques, des économistes et un prêtre allaient pouvoir broder autour de ce concept un peu vague, si vaste et insaisissable de « vulnérabilité » ?

Pendant quatre ans, sur des chemins courageusement débroussaillés par la Docteure Chiara Pesaresi, et sous l’œil amusé et bienveillant d’Adrien Bertrand, nous avons erré, discouru, tâtonné, testé, décliné ce thème de vulnérabilité sous différentes formes pour tenter d’en percer le sens et d’en extraire la substantifique moelle.

Et ça n’a pas été simple, mais il y a eu une chose dont nous avons été assez vite convaincus : c’est que ce thème résonnait particulièrement juste pour parler de notre époque.

Vulnérabilité des hommes et des femmes de notre temps, vulnérabilité de nos valeurs, vulnérabilités de nos systèmes de protection sociale, de notre système de santé, de notre jeunesse, de nos services publics, vulnérabilité de nos démocraties, de nos économies, vulnérabilité de notre continent, vulnérabilité de notre planète et peut-être même vulnérabilité de notre espèce.

Et l’actualité nous a servi : les déclinaisons sont arrivées par wagon quasiment chaque semaine. Il suffisait d’allumer la radio : crise du Covid, crise de l’hôpital, crise de la représentativité politique, crise climatique, conflits internationaux. Nous n’avons jamais rencontré de difficulté à trouver des illustrations pour Les Journées de l’UCLy. Quasiment la totalité des sujets était un exemple de vulnérabilité révélée…

Alors qu’avons-nous appris au cours de ces 4 années ?

Nous avons d'abord compris que nous étions vulnérables. Et 4 ans plus tard, nous sommes probablement conscients d’être encore plus vulnérables. Constat de la vulnérabilité partagée. Mais nous sommes aussi beaucoup moins inquiets car nous avons retenu trois points positifs sur la vulnérabilité… et je vais essayer de vous en convaincre !

Première leçon : La vulnérabilité est avant tout une expérience vécue

La vulnérabilité n’est pas une donnée a priori, le sentiment de vulnérabilité est quasiment toujours dévoilé par une crise. C’est une mise à nu. Ainsi donc, je peux tomber malade alors que je me sens en pleine forme…Vraiment, je peux me blesser alors que je me crois invincible ? Je peux tomber alors que j’ai un sens aigu de l’équilibre ? Ainsi, je peux perdre un proche alors qu’il me semble immortel pour moi. J’étais fragile et je ne le savais pas. Je suis vulnérable. La blessure, la perte, le deuil, l’agression ou le traumatisme me révèlent ma propre vulnérabilité. Elle était là. Je ne la voyais pas. J’ouvre les yeux, je deviens lucide. Nous traversons tous des moments de vulnérabilités. La bonne nouvelle, c’est que cette expérience est temporaire.

Deuxième enseignement : La vulnérabilité n’arrive qu’aux vivants

Une cruche fêlée est fragile. Elle va probablement casser si on ne la répare pas. Elle n’est pas vulnérable. Une jeune fleur qui perce la neige aux premiers matins du printemps est hautement vulnérable. Sortie de la terre protectrice, elle s’expose au froid et aux prédateurs. La racine latine de vulnérable, c’est vulnerarius, la blessure… qui parle de blessure parle de plaie, de sang, de sève, d’arrachement et d’abandon. Nous parlons donc de vie, de cicatrice, d’attachement, de relation. Lorsque nous ressentons de la vulnérabilité, nous prenons conscience du caractère hautement précieux de ce qui est menacé et nous prenons alors conscience que nous sommes vivants et prêts à lutter pour survivre.

Troisièmement, l’expérience vécue de vulnérabilité me dévoile ce que j’ai de plus intime et ce à quoi je tiens.

Celui qui s’assume vulnérable est vrai et authentique. Il est nu et découvert, mais il est clair et limpide. Celui qui se sait vulnérable ne se cache pas, il ne joue plus. Il se présente tel qu’il est avec honnêteté, connait ses valeurs et son combat. Il peut poser les bases d’un nouveau discours. Et cette transparence est salvatrice. Elle vient neutraliser le discours sur la puissance supposée et son déclin.

Car c’est bien de cela dont il s’agit : il est urgent de changer de système narratif. Nous avons bien vu, au cours de ces deux journées, combien le thème de la toute-puissance et de son effondrement sont efficace. C’est le fameux : « c’était mieux, avant ! » La nostalgie d’un paradis perdu, en général magnifié, si ce n’est totalement imaginaire…. Le tout renforcé d’un « on va à la catastrophe ! ».

Cette structure de récit est terriblement efficace pour occuper le cerveau de nos contemporains.

Grâce à Guy Debord, nous savions que nous étions dans la société du spectacle depuis plusieurs dizaines d’années, nous sommes maintenant passés à la société du spectacle quasi ininterrompu de l’autodestruction. C’est le fil des chaînes d’information continue. C’est le storytelling du film « Don’t look up » : l’humanité fascinée par le spectacle de sa propre perte.

Ce déclinisme ambiant devient aussi une prophétie auto-réalisatrice. A travers les réseaux sociaux, il créée une passion morbide pour le spectacle de notre propre destruction, crainte mêlée de fascination pour le scénario de notre propre extinction. Et nous voyons bien que ce nihilisme contemporain anxiogène est le prélude à un geste de repli identitaire et autoritaire.

Dans ce contexte, la reconnaissance et l’acceptation de la vulnérabilité apparaissent comme des antidotes salutaires aux scénarios catastrophes. Parce que se penser comme vulnérable c’est sortir de cette hypnose « de la toute-puissance et de sa grande dégringolade ».

Se reconnaître vulnérable c’est

1 - Affronter le réel, et donc faire preuve de courage

2 – Affronter l’incertitude : accepter que l’avenir ne soit pas écrit, qu’il soit incertain et donc qu’il appartient à chacun de nous de faire le choix intime et individuel du passage à l’action. Et d’orienter nos actions suivant nos convictions.

3 – Prendre le risque de la confiance, confiance dans l’avenir et confiance dans les autres car ma vulnérabilité révèle que j’ai besoin des autres.

Je conclurai avec les mots du poète Christian Bobin :

« Dans les marges de nos vies, la vulnérabilité ouvre des brèches par lequel entre l’infini »

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