Procès fictif en droit : un chatbot beau parleur
Le 2 mars, à la Cour administrative d'appel de Lyon, le procès fictif préparé et mené par des étudiants de la Faculté de Droit de l’UCLy traite d’intelligence artificielle, notamment du respect des données personnelles par les systèmes de chatbot dans le cadre d’une hospitalisation. Ce litige jugé en appel confronte le demandeur, un patient, et le défendeur, les Hospices Civils de Lyon (HCL). Retour sur cet exercice d’excellence qui prend place en 2036.
mis à jour le 8 décembre 2022
UCLy
TechLawClinics, Lyon, Rue Duguesclin, 2036
Ne vous méprenez pas, le procès qui va démarrer dans quelques instants est une mise en scène. Durant toute cette année universitaire les étudiants de la Faculté de Droit de l’UCLy ont préparé cette mise en pratique du droit dans le cadre de leur clinique de prospective juridique TechLawClinics, un projet européen financé par ERASMUS+. Cette approche professionnalisante permet aux étudiants d’endosser les fonctions de juges et d’avocats le temps d’une affaire relevant du droit administratif.
Dans la salle d’audience, des panneaux métalliques et des verres sculptés par André Borderie ornent la pièce. Les bancs réservés au public se remplissent petit à petit de parents, d’enseignants, de journalistes. Les robes d’hermine virevoltent dans les rangées.
Les jeunes avocates, par petits groupes, se saluent et rejoignent leur place devant l’assemblée. À gauche, les avocates du demandeur, à droite celles du défenseur. En face, le banc des juges demeure vacant pour l’heure.
Madame Le Colleter s’installe sur la droite. C’est la seule à ne pas jouer de rôle, elle est l’une des greffières de la Cour administrative d'appel de Lyon. Elle est chargée de prendre note de ce qui se dit à l'audience et de vérifier que la procédure a été faite dans les formes. « Mesdames, messieurs la cour » déclare-t-elle. Le silence tombe. Les juges entrent dans la salle.
Face à la greffière, le rapporteur public, Annaïg Pijoff, étudiante en 2ème année, se place sur l’aile gauche, à droite des juges.
Caroline Marcilly préside cette 4e chambre. À la tête de cette formation à trois juges, elle seule interviendra lors de l’audience. La présidente est assise entre ses deux assesseurs : Geoffrey Matrisciano à sa gauche qui est rapporteur, et Mme Vinet à sa droite. Le juge rapporteur est chargé par la présidente de suivre l’instruction du dossier. Après le délibéré, il devra rédiger le jugement.
Un demandeur, un défendeur
Dans cette affaire, le demandeur s’appelle Horace Munk. Il est absent mais il est défendu par le cabinet Tech NoLawgy. Le défendeur, les Hospices civils de Lyon, est représenté par le cabinet EliTech. Il s’agit ici d’un procès en appel. Ce qui signifie que le tribunal administratif a déjà statué en premier ressort.
Le rapporteur rappelle le contentieux antérieur qui opposa les deux parties : « M. Munk a conclu un contrat avec les Hospices Civils de Lyon (HCL) dans le cadre de son hospitalisation pour une intervention chirurgicale. L’hôpital a mis en place une application nommée « HCL Services » permettant un service personnalisé en fonction des goûts et préférences des patients. Le patient s’est connecté à l’application par le biais de Facebook en acceptant que toutes les données recueillies sur le réseau social soient traitées par l’application. À la suite d’une conversation avec un agent logiciel, dit « chatbot » qui a dialogué avec M. Munk sur ses préférences, un tarif de 800 euros lui a été proposé pour son hospitalisation, prix auquel il a consenti. Toutefois, d’une part, selon M. Munk, la qualité du service ne s’est pas avérée conforme aux préférences qu’il avait précisées et ne correspondait pas au prix payé, d’autre part, les forfaits d’hospitalisation seraient en réalité déterminés en fonction des capacités de paiement des patients. »
Horace Munk, débouté de sa demande de réparation du préjudice dont il s’estime victime par le tribunal administratif virtuel, a fait appel à la décision
Ce 2 mars en appel, le demandeur réclame « la condamnation des HCL à lui verser la somme de 700 euros correspondant à l’indemnisation de l’écart de prix entre ce qu’il a réellement payé et la valeur de la prestation fournie, ainsi que le versement de la somme 1 000 euros en réparation de son préjudice moral. »
10h16 : Les conclusions du rapporteur public
Madame le rapporteur public, carré court avec frange, jupe et pull col roulé noirs, lunettes à montures cerclées, prend un ton solennel. Droite, imperturbable, elle est concentrée sur sa lecture.
Le rôle du rapporteur public est d’éclairer les trois autres magistrats de la formation de jugement concernant le droit applicable en proposant une solution juridique.
Elle termine ses conclusions par ses mots : « Si vous nous suivez, vous condamnerez les Hospices civiles de Lyon à verser la somme de 700 euros au titre de son préjudice moral, sur un terrain extra-contractuel, et rejetterez le surplus de ses conclusions. »
La présidente la remercie. Les avocates du demandeur, Mr Munk, entrent alors en scène. Elles sont cinq à le représenter.
La 1ère se place devant le pupitre, dos au public, face aux magistrats, s’appuyant de tout son corps sur la console. Son écharpe fait balancier, égrenant chaque seconde de sa plaidoirie. « Merci maître », conclut la présidente.
La 2e avocate prend le relais. Son débit verbal est plus soutenu que la précédente. Un de ses pieds, pointe au sol et talon au ciel, bas le rythme. Sa main gauche marque presque chacun de ses propos. « Merci maître ! »
C’est au tour de la 3e étudiante. La jeune fille ressemble à ces statues de Rodin qui dégagent une puissance tellurienne. La tête tourne sur son axe, le corps reste de marbre, elle débite sa plaidoirie. « Merci maître ! »
Vient la 4e qui s’avance en claquant les talons sur le sol. Les cheveux remontés en chignon, elle s’exprime rapidement, mange ses mots, comme si elle était pressée, regardant fièrement les magistrats.
La dernière à passer paraît à l’aise dans l’exercice. Elle s’appuie des deux mains sur le pupitre comme pour prendre son envol ... « Merci maître ! »
10h50 : les avocates du défendeur
La 1ère avocate du défendeur s’installe à la barre. Elle prend soin de regarder chaque magistrat. Sa main gauche dessine des formes gracieuses dans l’air, tandis que la droite repose sur le plat de la console, poing fermé. Elle passe le relais à la 2e avocate qui empoigne le pupitre comme si elle voulait le déplacer. Elle prend soin de mettre en exergue certaines parties de ses arguments en soutenant le regard des juges.
La 3e muscle sa plaidoirie en tapant sur les mots. Des petits rires fusent dans le public quand la jeune avocate analyse, sarcastique, la requête du demandeur. Elle attend la réaction du public pour poursuivre son raisonnement. Elle savoure ce moment puis reprend son argumentaire.
La 4e ne parle pas assez fort au micro. La présidente et la greffière restent cependant concentrées sur leur interlocutrice.
S’ensuit une joute verbale de 5 minutes entre avocats du défendeur et du demandeur. Chaque étudiante reprend tour à tour la parole, s’amuse à moucher la partie adverse. Le public jubile, on en redemande. Et l’audience est levée.
12h00 : Le délibéré
Le délibéré a eu lieu à huit clos. Les trois juges reprennent leur place sur le banc. Il est midi. Le rapporteur prononce l’arrêté du jugement dont nous rapportons les 3 articles suivants :
« Article 1er : Les HCL sont condamnés à verser la somme totale de 1 200 euros à M. Munk, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande d’indemnisation préalable.
Article 3 : Les HCL verseront 500 euros à M. Munk au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. Munk est rejeté. »
« Nous sommes de la même étoffe que les songes »
Dans notre fiction, Mr Munk a donc gagné en partie ce procès. Son préjudice a été reconnu. Nous ne sommes pas en 2036 mais demain nous en rapproche. Comme l’écrivait Shakespeare dans la Tempête, la frontière entre rêve et réalité est ténue. Ce cas fictif portant sur les données personnelles et plus largement sur l’intelligence artificielle pourrait s’avérer dans un futur proche. Les questions d’éthique liées à la transformation numérique de notre société font déjà l’objet de réflexions approfondies et notre environnement se robotise à grande vitesse…
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