Présentation du deuxième volume du 30ème tome de la revue Théophilyon (novembre 2025)
L’originaire du sentir
Présentation de l'ouvrage
Que signifie et qu’implique l’hypothèse radicale de l’origine éminemment sensible et affective de notre rapport au réel ?
Comme nous l’avons fait pour la question de la naissance, explorée dans le Dossier du numéro XXVII-2, nous nous proposons dans ce nouveau numéro de thématiser l’un des lieux marginaux de la philosophie, l’un de ces impensés, de ces points aveugles ou refoulements qui sollicitent notre attention. Ainsi, alors que la tradition philosophique se présente comme l’histoire des modulations et des architectures du logos (la raison du sujet conscient, la pensée réflexive et calculatrice, la parole) en tant que rapport sensé et analytique à l’expérience, nous voulons ici en investiguer le versant spéculaire et complémentaire, celui du pathos (le fait de sentir, de souffrir, d’être affecté par autrui ou autre chose).
Le dossier
Le Dossier a ainsi pour but d’explorer l’originaire du sentir comme rapport premier au monde, rapport qui nous situe et nous oriente, trace dont même le logos ne saurait s’affranchir : une ouverture initiale qui peut se décliner sous l’aspect affectif ou perceptif, émotionnel ou désirant.
Laura Candiotto ouvre ce parcours en partant de l’Antiquité grecque, réinterprétée à l’aune des recherches contemporaines en philosophie des émotions. L’autrice renverse les termes de la question et interroge la relation spécifique entre la recherche de la vérité, propre à la philosophie, et la disposition affective envers la connaissance, dont l’émerveillement platonicien n’est qu’un exemple. Ainsi, chez Platon et Aristote, la connaissance authentique et la philosophie elle-même peuvent-elles se produire sans participation émotionnelle ? Michel Lovey explore ensuite l’autre berceau de l’Occident, la matrice hébraïque, en se concentrant sur l’anthropologie biblique, la sensibilité corporelle qu’elle performe, la prééminence du sens de l’ouïe qu’elle met en avant : s’esquissent ainsi les contours d’un paradigme tout à fait alternatif au paradigme grec.
Andrea Bellantone considère l’apport du sensualisme et du spiritualisme français du xviiie siècle, après le grand tournant inauguré par le cogito cartésien. L’auteur s’arrête sur la nécessité philosophique de décrire l’origine immémoriale de notre ouverture au monde, dont chaque époque construit son propre récit, sous le mode d’une mise en scène théâtrale qui voudrait en capturer le premier évènement. Il concentre son analyse sur deux scènes spécifiques : celle de la statue décrite par Étienne Bonnot de Condillac et celle d’un certain jeu de la voix et de l’ouïe analysé par Maine de Biran.
Un autre tournant majeur s’ouvre au xxe siècle avec l’illustre élève d’Edmund Husserl et de la phénoménologie naissante, Martin Heidegger, dont l’apport est magistralement abordé par Françoise Dastur. L’autrice revisite la théorisation heideggerienne du Dasein comme « lieu de la compréhension de l’être » : selon le philosophe allemand, l’être humain aurait son premier accès au monde non pas tant par la raison que par des « dispositions » et des « tonalités affectives », qui ouvrent d’emblée le Dasein à l’entièreté de ce qui est.
David Le Breton et Frank Kamdem Joutsa complètent le Dossier avec deux questions qui touchent directement à notre présent le plus actuel : d’une part, l’émergence d’un paradigme de la vulnérabilité qui nous oblige à considérer notre présence au monde en tant qu’êtres traversés et marqués par ce que nous souffrons ; d’autre part, l’impérieuse nécessité de rendre notre appartenance à la terre plus sensible et moins consumériste, surtout face à la prise de conscience que le monde lui-même, comme nous, est vulnérable et exposé à une menace d’extinction.
Chroniques régionales
Les Chroniques régionales accueillent dans ce numéro les contributions issues de la Journée de la Faculté de Philosophie du 10 juin 2024 sur le thème : « Penser le conflit. Le sujet et l’altérité au temps du numérique ». Frank Kamdem Joutsa, Emmanuel Boissieu, Pascal Marin, Riccardo Rezzesi, Christine Bouvier-Müh et François Deshors explorent les différentes dimensions, éthiques comme logiques, du conflit et de la paix, de la violence et de l’altérité, du tragique et de la compétition, à travers le prisme d’auteurs tels qu’Eschyle, Kant, Nietzsche, Mounier, Levinas, jusqu’aux défis posés à la conflictualité par l’intelligence artificielle et le monde numérique.
Notes bibliographiques
Le numéro se poursuit avec les Notes bibliographiques habituelles. Nous signalons dans la rubrique Philosophie la recension de Christine Bouvier-Müh sur le livre de Laure Borgomano, La Réserve. Pudeur, ressources et résistance par temps de crise (Labor et Fides, coll. « Le champ éthique », 2025), présenté le 3 avril 2025 à l’Unité de Recherche « CONFLUENCE : Sciences et Humanités », en collaboration avec la Faculté de Philosophie.
Remerciements
Nous ne pouvons terminer sans remercier Daniel Moulinet pour sa longue et précieuse collaboration avec notre Comité de rédaction. Rappelé par son diocèse, il ne pourra plus participer autant qu’il l’a fait à la vie de la revue, mais nous avons la certitude de pouvoir toujours compter sur sa compétence reconnue.
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Interdisciplinaire, elle se veut un lien entre les chercheurs de toutes disciplines. Sa collaboration avec des chercheurs d’autres institutions lui donne une dimension internationale.
