Emma Gounot, une vie de partage et de combat pour les autres

Emma Gounot est l’une des figures emblématiques de la « Catho » de Lyon. À l’occasion de la publication de l’ouvrage « Enfant, famille, justice. Une femme à l'écoute de son siècle », ses proches et collaborateurs se sont réunis en son honneur le 4 mars dernier sur le campus Saint-Paul. Femme de conviction et de foi, l’avocate lyonnaise a marqué Lyon par ses engagements et son courage, ainsi que l’UCLy par son esprit innovant et son enseignement.

« Un regard bienveillant et une étonnante force de caractère »

De nombreuses personnes se sont déplacées pour rendre hommage à la vénérable Emma Gounot. Vénérable, parce que chérie des siens, aimée et appréciée par ceux qui l’ont côtoyée dans son travail ou ses engagements associatifs. Bienheureuse sans aucun doute, bien que pour l’heure aucune requête n’ait été encore adressée au Pape pour la béatifier. « Emma la bien-nommée » pourrait-on dire puisque son prénom signifie « Dieu est avec nous ».

Elle était assurément présente, vivante, lors de cette soirée hommage. Sa famille, ses amis et compagnons de route ont réagi et ri souvent aux souvenirs évoqués par les différents orateurs. Ceux-ci, tour à tour, ont partagé « leur Emma », ancienne Doyenne de la Faculté de droit et fondatrice de l’ISF (devenu Institut Société et Famille), la sœur aînée et chef de famille en second, la combattante et militante, ou encore l’amie bienveillante et protectrice.

La soirée a démarré sur grand écran, avec une Emma Gounot de 99 ans, volubile et disserte, répondant avec enthousiasme aux questions de Valérie Aubourg, alors Directrice de l’ISF et aujourd’hui vice-rectrice chargée de la Recherche, et de Hugues Fulchiron professeur de droit et directeur du Centre de droit de la famille à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Pour ce dernier, la grande dame aux valeurs chrétiennes démocrates laisse à nos mémoires, « un regard bienveillant et plein de malice, de douceur, et une étonnante force de caractère. »

Valérie Aubourg qui a bien connu Emma Gounot, stipule que son œuvre repose sur quatre piliers : la famille, la faculté, la prison, le catholicisme. L’ouvrage « Enfant, famille, justice. Une femme à l'écoute de son siècle » revisite ses thématiques d’une vie vouée toute entière à l’écoute et à la défense des autres (voir encadré).

Emma Gounot : l’héritage juridique, le sens du combat

Elle est l’aînée de 11 enfants. Son père Emmanuel Gounot a été avocat et bâtonnier du barreau de Lyon. Il fut aussi le Doyen de la faculté de Droit (un des amphithéâtres du campus Saint Paul porte son nom). Sa fille Emma suit ses traces et étudie le droit. En 1939, elle rejoint les Facultés catholiques. Elle a 22 ans et devient la première femme à y enseigner le droit. Plus tard, elle deviendra doyenne de cette même faculté.

Sa première affaire pénale date de 1942. Elle défendit le journalisme résistant dans l’affaire Mounier ou l’affaire Combat*. Le Procureur de la République avait dit : « Je ne comprends pas ces gens, ils sont presque tous de bons catholiques pratiquants. Ils devraient bien savoir que le pape a condamné le communisme et que la résistance et tout ça, ce sont les communistes(sic)», confiait Emma en 2016. « Alors, moi, j’ai plaidé en disant : Mon client sait que le pape a condamné le communisme. Mais il sait aussi que le pape a condamné le national-socialisme. Et c'est pour ça qu'il diffuse Témoignage chrétien et qu'il diffuse Combat ». Je n'ai pas cherché à dire : « Le pauvre ! Il s’est trompé ». J'ai dit : « Il le fait justement parce qu'il ne veut pas être d'accord avec le national-socialisme ». Cette anecdote résume l’engagement d’une vie. Emma Gounot s’est mobilisée pour des batailles qui lui semblaient justes. « Parfois en porte-à-faux avec son milieu social et culturel », précise le professeur Hugues Fulchiron. « Elle va au bout de ses idées sans aucun esprit de rupture. Elle a eu le courage de défendre les causes les plus difficiles : les Résistants pendant la guerre, les collaborateurs à la Libération, les membres du FLN pendant la guerre d’Algérie… »

Quand Anne-Monique Gounot prend la parole pour évoquer sa sœur aînée, on ne peut s’empêcher de trouver des ressemblances. Emma Gounot se manifeste quand la silhouette frêle de la petite dernière s’approche du pupitre, l’œil qui pétille et le sourire aux lèvres. Dès sa première phrase, le ton est donné, pas d’apitoiement larmoyant mais des éclats de vie. Emma Gounot aurait sans doute apprécié.

« Elle aimait jardiner, planter des fleurs, tondre le gazon. » Anne-Monique démontre ainsi toute la simplicité de l’avocate et enseignante lyonnaise.

« L’appétit de vivre et la foi dans la vie d’Emma faisait l’admiration de tous, souffle la jeune sœur laissant transparaître le manque que la disparition de sa sœur procure. Passionnée de justice, Emma s’est toujours préoccupée de l’harmonie et de l’égalité dans la famille. » La salle écoute, l’émotion est tangible. En digne héritière de sa sœur, Anne-Monique surprend son auditoire par un trait d’humour : « Elle avait de l’autorité. Ses neveux la respectaient et lui obéissaient. Le seul qui lui désobéissait, c’était le chien. » La sortie fait mouche, provocant des rires en cascade dans le public. La mélancolie a fait place à la joie. Cela aurait certainement plu à Emma Gounot. Anne-Monique convoque aussi le courage de sa sœur et sa pugnacité à défendre les causes perdues.

« Toute personne a la capacité d’évoluer »

« Dans une typologie du catholicisme, Emma Gounot prendrait place dans la catégorie des catholiques d’ouverture qui ne condamnent pas les évolutions sociétales ni les mutations anthropologiques, mais cherchent à les comprendre et les accompagner », explique Valérie Aubourg, en rappelant au passage qu’Emma Gounot fut aussi secrétaire de Semaines Sociales.

En 1947, la femme de foi et de conviction a accompagné son père, Emmanuel dans la fondation de la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence**. Ils seront tour à tour les présidents de l’organisme lyonnais. « Toute personne quel que soit ses difficultés ou handicaps a la capacité d’évoluer et de développer à son rythme et selon ses potentialités un projet de vie individualiste » sera le leitmotiv d’Emma Gounot.  

Emma Gounot contribua dans la même veine à l’avènement du GREJ. Le Groupe de Réflexion Éthico-Juridique a été mis en place en 1995 dans le cadre de la Sauvegarde. Son rôle est consultatif. Il est constitué, là encore, d’une équipe pluridisciplinaire. Jacques Vuaillat, président de l’association raconte : « Emma était régulièrement sollicitée par des travailleurs sociaux pour donner son avis. Souvent les questions l’intéressaient plus que les réponses. » Emma Gounot aurait probablement acquiescé. Elle s’est investie dans cette structure jusqu’à la fin de sa vie.

Un tempérament innovant et dynamique au service de l’UCLy

À l’UCLy, elle a marqué les esprits par son tempérament innovant. Dès 1965, elle envisage déjà d’ouvrir l’université à un public d’adultes. Il lui faudra attendre l’après 68 et la mise en place de la Formation Continue, pour mettre en œuvre son projet avec l’ISF (Institut Société et Famille). Dans un contexte de mutation rapide du couple et de la famille, l’Institut forma des centaines de travailleurs sociaux. De manière nouvelle, Emma Gounot a promu la pluridisciplinarité en réunissant des juristes, psychologues, sociologues ou encore des médecins au sein de l’ISF. L’unité d’enseignement demeure actuellement en France le seul institut universitaire pluridisciplinaire dans son domaine.

« Emma Gounot veilla de manière inédite à articuler les sciences de l’Homme avec une réflexion philosophique, théologique et éthique ».

Valérie Aubourg, vice-rectrice en charge de la Recherche

La soirée se termine. Mais chacun emporte un peu d’Emma Gounot avec soi. Elle laisse bien plus qu’un héritage intellectuel et l’image d’une femme courageuse engagée au service de la famille, de la justice et de l'enfant. Elle nous a partagé sa joie à agir pour le bien commun. Elle a fait naître une étincelle. Ceux qui ont reçu cette poussière d’étoiles d’Emma, animés comme elle d’une ardeur chrétienne et humaniste, poursuivent son œuvre. La volonté d’ouverture et d’inclusion que défend l’UCLy en est un bel exemple.

Relire l'interview d'Emma Gounot à l'occasion des 40 ans de l'ISF en 2014 : "Au commencent de l'ISF"

*Combat est le journal clandestin du Mouvement de Libération française. À partir de l’été 1943, un journaliste de métier, Pascal Pia, prend la tête de la rédaction. Il fait entrer Albert Camus dans son équipe.

* *La Sauvegarde, association qui œuvre dans le secteur social et médico-social, a pour mission d’accompagner des personnes en situation de vulnérabilité pour que celles-ci, quelles que soient leurs difficultés, puissent vivre dignement, trouver leur place dans la société, exercer au mieux leur citoyenneté dans la mesure de leurs capacités. L’Association gère aujourd’hui 22 établissements et services.

Une vie, un livre

Enfant, famille, justice. Une femme à l’écoute de son siècle (éditions Mare et Martin) met à l’honneur Emma Gounot et ses actions. Quelque 29 auteurs rendent hommage à Emma Gounot (1917-2017), une intellectuelle engagée, qui s’empara de manière originale des questions relatives à la famille et à la protection de l’enfance dans une période de bouleversements sociétaux intenses.

Juristes, psychologues, anthropologues, sociologues, philosophes et théologiens se penchent sur les transformations de la famille et de la justice qui ont marqué le XXe siècle et alimentent la réflexion sur des questions actuelles délicates mais incontournables. Quant aux historiens, ils reviennent sur le parcours hors du commun de cette avocate et professeure de droit aux facultés catholiques de Lyon. Des entretiens inédits avec Emma Gounot enrichissent le livre.

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