Présentation du volume
L’appel à une vie spirituelle est aujourd’hui volontiers déclaré « étouffé » par le matérialisme ou le rationalisme ambiants. Mais en un autre sens, ne doit-on pas constater qu’il ne cesse de surgir et de resurgir, au-delà même de tout terrain confessionnel déterminé, dés lors que l’esprit se voit affronté aux heures sombres de l’histoire, au dialogue des cultures, ou à une quête de sens que masque mal l’individualisme contemporain ? En consacrant ce dossier aux « Chemins spirituels d’aujourd’hui », Théophilyon souhaite mettre en relief quelques figures et démarches exemplaires, redonnant foi en une humanité capable de Dieu dés lors qu’elle s’ouvre à un Dieu capable de descendre en elle.
Les quatre premières contributions de ce numéro se centrent sur des itinéraires spirituels du XXème siècle dont la dimension d’incarnation, sous des modalités pourtant uniques et irrépétables, fait sens par leur convergence même.
L’article d’Ingmar Granstedt ouvrant le dossier montre, à travers l’étonnant et fulgurant mûrissement intérieur d’Etty Hillesum, combien la spiritualité, loin d’être réservée à une vie religieuse retirée du monde, peut habiter les pires situations au cœur de l’histoire. Jean-Jacques Pérennès se penche ensuite sur l’expérience parallèle de Pierre Claverie dont l’itinéraire manifeste l’enracinement humain du spirituel, le double amour du Christ et de l’Algérie étant ici fondus en une seule vocation scellée par le don de la vie au service d’un peuple.
Cette vocation, la figure d’Edith Stein l’illustre évidem-ment aussi. Mais, à la différence des présentations les plus fréquentes, Pierre Benoit a choisi, dans une contribution plus spéculative, de se centrer sur l’articulation entre vie spirituelle et philosophie qui fut son charisme propre : c’est sur une anthropologie trinitaire qu’ouvre alors la vie de l’esprit. Pers-pective trinitaire qui n’est pas étrangère à celles de Jules Monchanin et Henri le Saux, mais que ces derniers, comme le met en lumière la mise en perspective de Françoise Jacquin, n’ont cessé de méditer à travers l’appel de l’Inde, dans l’intuition obscure mais prophétique du dialogue interreligieux actuel.
Les deux contributions qui suivent interrogent davantage la quête de sens diffuse dans la culture contemporaine. Face aux nouveaux courants spirituels se rattachant de prés ou de loin à la nébuleuse du « New Age », Yvon Le Mince cherche à définir une attitude qui, entre optimisme naïf et critique sans nuances, soit capable de discerner entre les appels de notre temps et leurs dérives. Simone Pacot, quant à elle, nous offre, en conclusion, une méditation sur l’articulation entre le psychique et le spirituel, psychologie des profondeurs et spiritualité devant s’éclairer l’une l’autre pour éviter que le désir de guérison et de salut ne soit qu’une projection intéressée de l’ego.
Les articles qui suivent ce dossier le prolongent de multiples manières. Nos lecteurs trouveront d’abord dans les « Mélanges » une savante étude de notre collègue de Sources chrétiennes Dominique Bertrand sur le « discernement des esprits » dans l’origénisme alexandrin. Suivent dans les « Chroniques régionales » une présentation par Laurent Fabre, Supérieur général de la Communauté du Chemin neuf, de la fondation de l’Institut de Théologie des Dombes (en lien avec notre faculté de Théologie) ; puis les leçons de soutenance de thèse de J.M. Gueullette (sur l’amitié) et P. Royannais (anthropologie et théologie du croire). Recensions d’ouvrages, publications des enseignants et Tables annuelles achèvent ce numéro, qui reflète à nouveau aussi bien les travaux internes à l’Université catholique de Lyon que ceux réalisés en collaboration avec nos partenaires extérieurs.
Résumés des articles du second volume du 8ème tome de la revue Théophilyon
Pierre Benoit - Edith Stein : Une philosophie de la vie spirituelle
L'itinéraire spirituel d'une vie s'enracine dans une activité personnelle, celle de l'esprit. E. Stein, qu'on connaît pour son expérience mystique, a pensé aussi la nature de la vie spirituelle en philosophe. Elle la définit comme « une vie remplie de sens ». Quel est ce sens ? Quelle est la structure de la vie spirituelle ? Quelle est son objectivité ? Voici trois questions où se rencontrent l'anthropologie et la métaphysique. Là où Heidegger, son contemporain, nous convie à une ontologie existentiale dépourvue de transcendance, E. Stein manifeste que la découverte du sens de l'existence, celle de sa finitude et de sa temporalité, s'éclaire authentiquement, selon la structure même de l'esprit, en Dieu. Elle propose ainsi une ontologie de la vie spirituelle à partir d'une métaphysique n'hésitant pas à se ressourcer dans la révélation chrétienne. Nous la suivrons en particulier à travers son ouvrage majeur L'être fini et l'être éternel.
Ingmar Granstedt - Etty Hillesum : Une parole de Dieu dans la Shoah
La fulgurante évolution spirituelle d'Etty Hillesum la conduit en moins de trois ans (1941-1943) de l'état de jeune femme assez banalement « moderne » à celui de grande mystique faisant face à la Shoah. Ce chemin est évoqué à travers quatre points. D'abord son entrée dans la liberté la plus personnelle grâce au resserrement croissant de la relation à l'autre (J. Spier, puis Dieu), au sein d'une double relation triangulaire. Ensuite l'évolution de sa prière par « l'écoute au-dedans » de la vie sur trois registres. Puis son acceptation de la souffrance inéluctable, comprise comme « activité passive », grâce à son effort inlassable pour « s'expliquer avec tout ». Enfin sa façon exceptionnelle de révéler la présence de Dieu aux hommes dans le contexte extrême du génocide des Juifs.
Jean-Jacques Pérennès - Itinéraire d'une vie donnée : Pierre Claverie
L'appel de jeunesse à « se donner à fond pour quelque chose qui vaille la peine » et à « sortir de soi vers l'autre » a pris chez Pierre Claverie la forme d'une double vocation, « algérienne » et « dominicaine ». Eprouvé par la guerre d'Algérie qui le fait sortir de la « bulle » coloniale, il vivra les moments de crise et de fracture de l'histoire comme l'occasion de donner, en nous, une place plus profonde à Dieu, et de rendre son amour présent à travers l'ouverture à l'autre, quoi qu'il en coûte. Assassiné en 1996, il est devenu signe du Corps du Christ - d'un Christ qui reste avec ceux qui souffrent et meurt pour tous - et témoin de l'amour fou qui unit le Père, le Fils et l'Esprit.
Françoise Jacquin - Jules Monchanin et Henri Le Saux, aventuriers de l’Absolu
Il y a un demi-siècle, deux hommes se jetaient corps et âme à la recherche d'une synthèse entre hindouisme et christianisme. En leur petit ashram du Saccidananda ils se sont engagés à vivre la double appartenance de sannyasi chrétien. Mais leur formation et leurs tempéraments contrastés les ont conduits à incarner cet idéal par des voies différentes. L'abbé Jules Monchanin, de plus en plus sceptique quant à la synthèse espérée, a intériorisé sa démarche, l'assumant comme une épreuve kénotique. Le bénédictin Henri Le Saux a sans doute mieux adhéré à la démarche des spirituels hindous à la recherche de l'éveil. Sa plongée « au dedans », ses « montées » vers les cimes himalayennes parmi des foules ferventes l'ont amené à envisager la rencontre de l'hindouisme et du christianisme sur le mode du dépassement. Il reste que l'expérience et la réflexion de ces deux précurseurs, continuent d'éclairer le monumental défi posé par le pluralisme religieux au christianisme du troisième millénaire.
Simone Pacot - La guérison intérieure - Qu’est-ce que guérir ?
Beaucoup se posent actuellement la question : qu'entend-on par guérison ? Faut-il guérir à tout prix, selon l'expression de Bernard Ugueux ? Jésus le Christ, n'est pas venu uniquement pour guérir. Mais si tous ne sont pas guéris de façon visible, perceptible, il leur offert la guérison la plus profonde qui soit, le salut, qui permet par, avec et en Christ, de découvrir Dieu non seulement comme Créateur mais comme Père, de déployer leur condition des fils et filles de Dieu. Quelle réponse apporter à ce don, cette invite ? Découvrir la dimension essentiellement spirituelle d'un parcours qui va tenir compte des différentes composantes de l'être humain : sa psyché, son corps, sans les dénier et en les situant à leur juste place, le cœur profond qui les anime, est un trajet de conversion, le véritable chemin de nos Pâques.
Yvon Le Mince - Les nouvelles quêtes de sens : danger à éviter ou aventure à vivre ?
L'aspect nébuleux des nouvelles quêtes spirituelles cache une anthropologie unifiée caractérisée par l'importance de l'énergie, des niveaux de conscience, de l'expérience, des corps physique et subtil, d'une relativisation de l'intellect, d'une globalité où l'invisible l'emporte sur le visible. Le Divin y est souvent impersonnel et ignore la Trinité. L'homme y est conçu comme un ensemble vibratoire, divin dans son fond. La relation dialoguale y tient peu de place. Et certains groupes relèvent d'un fonctionnement sectaire, manipulateur et totalitaire. Vis à vis de cette vision du monde, les réactions chrétiennes divergent, allant de la condamnation à l' accueil critique. En effet, l'évangile peut-il se vivre dans cette anthropologie et, si oui, jusqu'où ?
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