Présentation du volume
« Entrepreneuriat » pour les puristes, « entreprenariat » pour les tenants de la simplification de la langue, mais nous importe ici plus que le nom, la chose et celle-ci dans sa vocation sociale. Le dossier regarde ce thème d'économie politique très actuel à partir de quelques philosophèmes fondamentaux qu'il mobilise. Sources historiques à potentiel inspirateur et ressources conceptuelles qui construisent diverses théories où il cherche à se penser.
La première partie du dossier fait place aux idées sur l'entreprise de deux apôtres français de la justice sociale au XIX° siècle, Pierre Leroux et Pierre-Joseph Proudhon. Dans son article dédié à La doctrine de Pierre Leroux : Un essai de dépassement du christianisme au service de l'associationnisme ouvrier ? Patrick Gilormini montre comment le saint-simonien dissident Pierre Leroux a recherché une voie médiane entre collectivisme et individualisme. À l'imprimerie de Boussac, expérience d'entreprise sociale et terrain d'expérimentation de sa doctrine, Leroux s'est voulu fidèle en particulier au message d'un Jésus révolutionnaire, qu'une religion coupée du terrestre a, selon lui, trahi.
Quant à Proudhon, anticlérical nourri de théologie biblique, il fut un grand inspirateur du catholicisme social. C'est que ce nous rappelle l'article d'Emmanuel Gabellieri, Proudhon et le catholicisme social. Un jeu d'influences méconnues. Ainsi pour Joseph Vialatoux, philosophe engagé dans La Chronique sociale lyonnaise, tout comme pour le philosophe personnaliste Jean Lacroix, la lecture de Proudhon fut la cause d'un « salutaire examen de conscience ».
Puis le dossier porte trois contributions, qui considèrent l'entreprise aujourd'hui au prisme de sa responsabilité sociale. Dans Des fondements et des approches pluriels du management de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), André-Aimable Dufatanye met en évidence tant la complexité que la pluralité interne à cette problématique de la RSE. Il montre en particulier la tension qui la traverse entre une approche contractualiste d'origine nord-américaine de facture libérale et une approche institutionnaliste bien implantée en Europe et qui accorde plus de poids aux institutions publiques.
Emmanuel d'Hombres propose ensuite sa réflexion à propos de L'entrepreneuriat social à la lumière du concept de responsabilité. Essai de caractérisation philosophique. L'article resitue dans une perspective à la fois historique et logique le concept de responsabilité. La responsabilité juridique et morale, à quoi ressortit le devoir social d'une entreprise peut-elle aller de pair avec une responsabilité dite « cosmologique », parce qu'il y va en elle de l'action entrepreneuriale et de sa capacité créative de biens économiques ? Telle est la question.
Enfin dans De l'anthropolitique à la micro-politique de l'entrepreneuriat social-humaniste : sources psychosociales et création de la responsabilité sociétale des organisations économiques, Didier Prince-Agbodjan montre comment les droits sociaux fondamentaux peuvent être, dans la contrainte qu'ils procurent, un facteur dynamisant d'innovation sociale.
En complément du dossier, les Mélanges nous proposent par l'historien de l'Eglise Daniel Moulinet une Note historique sur les débuts d'une pensée catholique sociale à Lyon. Lyon fut en effet au XIX° siècle suite à la révolte des canuts de 1831 et 1834, le lieu d'une prise de conscience par l'Eglise de la question sociale bien avant la promulgation de l'encyclique Rerum novarum (1891). Puis l'économiste et théologien Hugues Puel présente de manière synthétique une brève typologie de Trois formes de rapports à la société : Catholicisme social, doctrine sociale, entrepreneuriat social.
Les chroniques régionales s'ouvrent par la conférence de rentrée des deux facultés canoniques de notre université. Elle fut donnée le 12 septembre 2016 par Elisabeth Parmentier, professeure à la Faculté de théologie protestante de l'Université de Genève, sur le thème de La discipline œcuménique en théologie. 500 ans après la Réforme, quels défis de témoignage et de dialogue ? Puis nous publions la leçon doctorale donnée devant la faculté de philosophie par Valérie Julien-Grésin le 21 septembre 2016 sous le titre : Le sujet à l'épreuve de la guérison. Une intégrité affective au fondement de notre consistance. Le numéro se conclut par les habituelles recensions en philosophie et dans les diverses matières de la théologie
Résumés des articles du premier volume du 22ème tome de la revue Théophilyon
PATRICK GILORMINI - La doctrine de l’humanité de Pierre Leroux : Un essai de dépassement du christianisme au service de l’associationnisme ouvrier ?
Pour publier de 1845 à 1848 La Revue Sociale, ou solution pacifique du problème du prolétariat, le saint-simonien dissident Pierre Leroux crée une entreprise sociale qui lui permet de mettre en pratique sa théorie de l’association ouvrière. Cette expérience répond à sa visée de fonder une nouvelle religion, alternative au christianisme et s’enracinant dans un gouvernement républicain et industriel des organisations humaines. L’importance que Pierre Leroux attache à la mise en pratique correspond à la Doctrine de l’humanité qu’il développe en refusant la tentation collectiviste et autoritaire des saint-simoniens et l’individualisme du libéralisme absolu destructeur du lien social. La philosophie moniste de Pierre Leroux le conduit à la promotion d’une religion de l’humanité qui combat les inégalités en incorporant le temps long de l’histoire en vue d’une vie terrestre meilleure régénérée par le pouvoir messianique du peuple. Son socialisme républicain nous invite à entreprendre en vue de l’amélioration du sort du plus grand nombre en cheminant fraternellement entre les pôles de l’égalité et de la liberté.
EMMANUEL GABELLIERI - Proudhon et le catholicisme social (I et II)
L'influence de la pensée de Proudhon sur le "socialisme humaniste" auquel s'est opposé Marx est connue. Celle qu'elle a eue sur le "catholicisme social", beaucoup moins. L'étude qui suit, livrée en deux parties, cherche à la mettre à jour, en partant de l'ouvrage de H. de Lubac Proudhon et le christianisme, publié en 1945, lequel, avec Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme (1938), s'inspire à la fois des premiers travaux de J. Lacroix et de ceux de La Chronique sociale lyonnaise des années 30, animée par J. Vialatoux. Pour tous ces auteurs, Proudhon, anticlérical nourri de théologie biblique, est occasion d'un "salutaire examen de conscience", en ayant exprimé l'exigence d'une "philosophie du travail", d'une "souveraineté du droit" (Lacroix) d'une "métaphysique en action" (Vialatoux) que le christianisme du 19ème s. aurait dû développer s'il avait été vraiment évangélique (Partie I). Que la même inspiration se retrouve chez une S. Weil, syndicaliste révolutionnaire des années 30 devenue prophète de la "spiritualité du travail", et chez Mgr P. Haubtmann, biographe, spécialiste de Proudhon devenu secrétaire de la Commission Gaudium et spes au Concile Vatican II, confirme l'ampleur multiforme de cette influence témoignant d'une sorte d'émulation mutuelle entre humanisme laïc et chrétien (Partie II).
EMMANUEL D’HOMBRES - L’entreprenariat social à la lumière du concept de responsabilité. Essai de caractérisation philosophique
L’entreprenariat social nous engage dans deux formes de responsabilité, une responsabilité obligataire, qui ressortit au registre juridique et moral, et une responsabilité mondaine ou cosmologique, qui ressortit au registre de l’action et de la création. La pratique entrepreneuriale en tant que telle honore prioritairement la responsabilité cosmologique, tandis que la dimension sociale de cette pratique réfère, quant à elle, à la dimension obligataire. Dans l’étude qui suit, je propose de revenir sur l’histoire de ces deux acceptions fondamentales de la responsabilité, et de montrer la portée et les limites de leur dialectisation au sein de l’activité sociale-entrepreneuriale. La caractérisation de l’entreprenariat social, dans sa ressemblance et sa différence avec l’entreprenariat classique, ayant sans doute à gagner à passer par le détour d’une analyse de la responsabilité.
DIDIER PRINCE-AGBODJAN - De l’anthropolitique à la micro-politique de l’entrepreneuriat social-humaniste : sources psychosociales et créatives de la responsabilité sociétale des organisations économiques
Les droits sociaux fondamentaux en tant qu’outils de sécurité économique et sociale et support de pratiques relationnelles dignes en collectif de travail, représentent, à notre avis, comme dans le mécanisme du « starting-block », un système dynamique porté par une cale de départ propulsant le déploiement des capacités d’innovation sociale. En statique de départ, nous situons les principes de droits sociaux fondamentaux, et en dynamique, nous situons l’ensemble relationnel ou interactionnel coordonné de mouvements positifs d’innovation sociale. Dans cet état d’esprit, nous convoquons une lecture fondamentale de la promotion humaine et de la créativité pour questionner les ressorts de la responsabilité en entreprise social-humaniste. A partir de l’approche anthropolitique, de l’approche winnicottienne de l’environnement « suffisamment bon » et de la « relation d’objet » ainsi que de l’approche convivialiste, comment réinvestir les droits sociaux fondamentaux au-delà du schème réducteur de l’homo œconomicus ?
AIMABLE-ANDRE DUFATANYE - Des fondements et des approches pluriels du management de la Responsabilité Sociétale des Entreprises
La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est devenue un sujet « transversal » important de la recherche en gestion, en économie, en éthique des affaires ou encore en droit des entreprises.... C’est également un sujet de préoccupation majeure pour de plus en plus de managers. Cependant, dans certaines entreprises engagées dans la démarche RSE, les processus et les procédures peuvent prendre trop de place au risque d’occulter l’importance de la réflexion sur la définition d’un cadre théorique ad hoc dans lequel doivent être discutées certaines questions cardinales comme celle relative au sens, aux fondements mêmes de la RSE ou encore celles relatives à l’éthique ou à l’humanisme que doit, à notre avis, impliquer la démarche authentiquement RSE. En s’appuyant sur les travaux existants des auteurs comme Garriga et Melé (2004), Lépineux et alii (2016) ou Gond et Igalens (2016)… , nous proposons une étude des origines, des fondements et des approches théoriques de la RSE. Il ressort de cette analyse que la notion de RSE est une notion fondamentalement complexe et plurielle de par ses sources multiples et de par les approches théoriques diverses, voire contradictoires, qui la sous-tendent. La prise de conscience de l’importante de la diversité des origines et des sources, de la pluralité des fondements et des approches de la RSE, permet de mieux appréhender, pour ensuite mieux manager, des divergences et des contradictions qui peuvent apparaître lors de la mise en place des systèmes de management de la RSE. L’étude et l’analyse des sources et des fondements de la RSE ainsi que de leur essence plurielle permet également de mieux saisir pourquoi les modèles de management de la RSE doivent être divers, s’adapter à différentes cultures et à différentes sociétés et demeurer l’objet de l’innovation permanente.
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