Présentation du volume
Le dossier est dédié au thème du corps, appréhendé au prisme de sa représentation dans l’art des XXe et XXIe siècles. Plus que jamais dans l’histoire de l’art, le corps est en effet au cœur des recherches de la création moderne et contemporaine. Il est mis en question, mis à la question. Aux antipodes tant du corps idéalisé de la statuaire antique que du corps rêvé de la publicité et du bodybuilding, c’est un corps blessé, déformé, handicapé, tronqué, ouvert, disséqué, métissé de technique, métamorphosé, qui s’exhibe dans les installations et les expositions. Faut-il voir là un signe de cette haine du corps réel, corps de finitude, soumis à la décadence
et à la mort, mépris qui depuis les Grecs marque la pensée occidentale ? Ou bien, contre le dualisme et son désir d’une vie hors du corps, ne s’agit-il pas tout à l’inverse dans les plus fortes de ces recherches de creuser l’énigme d’une subjectivité dans le corps ? Le corps ne serait-il donc le nôtre, corps de l’humain, à la fois vulnérable et puissant, créatif, que d’être en quelque manière altéré, marqué par la déficience ou l’étrangeté d’un autre visage de la vie ?
Par sa contribution sur La figure du crucifié chez Marc Chagall, Philippe Abadie nous rappelle que la première des figurations du corps en souffrance en Occident fut celle du Christ en Croix. Sa présence à l’intime de l’œuvre de Chagall montre que cette figuration n’appartient pas au passé du corps occidental, mais que sa
trace demeure active dans la mémoire des créateurs jusqu’à présent.
Pour identifier selon son titre Le corps spirituel dans la clinique et l’art moderne, Simone Korff-Sausse forme l’hypothèse que la déshumanisation du corps dans l’art est une manière de rejoindre ce que l’humain a d’irréductible et par là-même de réintroduire la dimension de la spiritualité. Mais le corps mutant en question n’est-il pas d’abord celui de l’artiste ? Ainsi l’intérêt avéré aujourd’hui pour les expressions très subjectives et singulières de l’art brut correspondrait à un besoin de spiritualité dans un monde désincarné et désubjectivé.
Dans un essai au fil de quelques œuvres significatives sur Le corps dans l’art aux XXe et XXIe siècles. Repères pour une chronologie, Marc Chauveau montre comment les œuvres témoignent, non sans
distance critique, de l’époque où elles surviennent. Corps martyrisés des années de guerre, corps heureux de la société de consommation, corps effacés d’un monde en crise où l’exclusion s’accroît, corps vulnérable d’une époque inquiète de son avenir.
Reprenant son expérience à la Biennale d’Art Sacré Contemporain, dans Le corps et le sacré dans l’art actuel, ou « Quand les artistes contemporains me donnent à sentir le sacré du monde », Michel Durand soutient que le contact qu’une œuvre sait maintenir avec les humiliations subies par l’homme serait un élément décisif
de sa force expressive.
Enfin dans Le corps et ses images: entre misère et illusion, considérant non sans nostalgie ce que fut l’art de la Renaissance et sa quête de perfection pour la représentation des corps, Pierre Gibert se demande si l’homme n’est pas condamné en matière de figuration de l’humain à une oscillation infinie entre rêve et désillusion. Le
corps rêvé n’est-il pas lui aussi très humain ?
Les Mélanges présentent une réflexion de Jean-François Chiron sur l’accès aux sacrements des personnes divorcées-remariées.
Les chroniques régionales présentent au lecteur les trois contributions données lors de la journée interdisciplinaire des facultés de philosophie et de théologie. Le thème de la journée « Mémoire
et commencement » était en consonance avec l’actualité de l’Université catholique, juste avant le déménagement du campus Bellecour vers le site de la place Carnot et celui tout neuf de l’ancienne
prison saint Paul. Pas de commencement sans mémoire, tel fut le Leitmotiv de ces travaux. Éric Mangin y a traité de « Mémoire et Commencement dans les Confessions de saint Augustin », puis Isabelle Chareire a commenté le titre « Déjà, tout est commencé : encore, rien n’est achevé », Jean-Marie Gueullette s’est demandé
enfin à l’école d’Hippocrate, Jésus, Freud, et Still, si « une activité thérapeutique nécessite un fondateur ».
Dans un Bulletin bibliographique, Édouard Robberechts présente ensuite le livre de Jean Massonnet, Aux sources du christianisme. La notion pharisienne de révélation, paru chez Lessius à Bruxelles en 2013, ou comment ce texte atteste une « conversion profonde du regard chrétien à l’encontre du judaïsme ». Ce bulletin est suivi de plusieurs recensions en philosophie et dans les diverses matières de la théologie. Juste avant les tables de l’année 2015, le numéro propose la liste des publications des deux facultés pour l’année 2014.
Résumés des articles du second volume du 20ème tome de la revue Théophilyon
Philippe Abadie - La figure du Crucifié chez Marc Chagall
Il semble à première vue étonnant de rencontrer l'omniprésence de la figure du Crucifié chez un artiste juif comme Marc Chagall. En fait il serait faux d'y voir le Christ des chrétiens, quand il s'agit d'évoquer le martyr juif dans l'histoire. Aussi le Crucifié devient-il un leitmotiv tragique chez Chagall tant que dure le IIIe Reich allemand, de « La crucifixion blanche » contemporaine de la sombre nuit de cristal à « L'Apocalypse au lilas » qui traduit l'horreur des camps d'extermination nazis. La figure s'apaise durant l'ultime période chagallienne, sans perdre pour autant ce tragique qui accompagne le destin d'Israël tout au long du XXe siècle.
Simone Korff-Sausse - Le corps spirituel dans la clinique et l’art moderne
Les corps dans l'art moderne et contemporain sont sujets à des métamorphoses. Ces corps mutants ne sont pas si éloignés des corps malades, abîmés, souffrants, rencontrés dans une clinique de l'extrême. Cette sorte de déshumanisation du corps serait une manière paradoxale et subversive de traquer ce que l'humain a d'irréductible et de réintroduire ainsi la dimension de la spiritualité. Mais le corps mutant en question est d'abord celui de l'artiste. Ainsi l'intérêt du public, des galeries, des collectionneurs pour les expressions très subjectives et singulières de l'art brut correspondrait à un besoin de spiritualité dans un monde désincarné et désubjectivé.
Marc Chauveau - Le corps dans l’art au 20ème et 21ème siècle. Repères pour une chronologie
Au 20ème et 21ème siècle dans leurs représentations des corps les œuvres témoignent, non sans distance critique, de l'époque où elles surviennent. Corps martyrisés des années de guerre, corps heureux de la société de consommation, corps effacés d'un monde en crise où l'exclusion s'accroit, corps vulnérable d'une époque inquiète de son avenir. L'article propose quelques repères pour cette chronologie. Les Otages de Jean Fautrier, bouleversante série de corps martyrisés. Andy Warhol ou Martial Raysse, chez qui le corps apparaît comme un élément reproductible en série et assimilable aux objets de la société de consommation. Jean-Marc Cerino, qui évoque un corps s'effaçant peu à peu et tente de dire ainsi l’exclusion d’êtres humains devenus imperceptibles dans nos sociétés occidentales. Ron Mueck qui, en dépit du progrès, donne à voir la vulnérabilité des êtres humains par des corps sans artifices.
Michel Durand - Le corps et le sacré dans l'art actuel. Quand les artistes contemporains me donnent à sentir le sacré du monde
Dans l’actuel monde, pour que le contemporain, majoritairement hors Église, se sente invité, le corps glorieux, spirituel, ressuscité ne peut marteler seulement notre sensibilité en injectant des traits lumineux qui jailliraient directement du cœur de Jésus. Pour que le corps contemporain entre dans le domaine du sacré, il ne faut pas qu’il s’impose dogmatiquement, mais il faut au contraire qu’il garde contact avec les humiliations subies dans et par l’humanité.
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