Présentation du volume
"Il faudrait explorer ici la beauté de la grandeur d’âme : il y a, me semble-t-il, une beauté spécifique des actes que nous admirons éthiquement. Je pense particulièrement au témoignage rendu par des vies exemplaires, des vies simples, mais qui attestent par une sorte de court-circuit de l’absolu, du fondamental." Paul Ricoeur, La critique et la conviction. Entretiens.
La vérité est un acte de l’esprit qui établit un rapport de conformité entre l’objet de la pensée et la réalité, "une adéquation de l’intelligence à la chose" . Suivant un sens plus ancien, elle est aussi "dévoilement ", manifestation d’un quelque chose qui se révèle progressivement à l’homme… Quelle est la forme du discours qui convient à l’établissement de la vérité ? Car dire la vérité ne suffit pas ! Il lui faut un habillage indispensable pour la rendre présentable à l’esprit, acceptable pour autrui. Certes le témoignage est toujours fragile, mais ne donne-t-il pas toute sa beauté à la vérité ?
L’hypothèse de Jean-Philippe Pierron est que la valorisation contemporaine du témoignage révèle un rapport particulier à la vérité qui veut tout à la fois éviter le dogmatisme et le relativisme. Le témoignage permet de présenter le vrai sans pouvoir le démontrer. Pierre Gire analyse ensuite ces deux notions de témoignage et de vérité dans une perspective épistémologique qui présente leur complexité, mais aussi toute leur richesse pour le sujet humain.
Impossible de ne pas évoquer dans ce dossier la figure du Christ venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité (Jn 18, 37). François Durand envisage d’un point de vue théologique l’importance du témoignage qui ne saisit pas nécessairement la vérité mais qui devient un lieu où celle-ci peut se dire dans ce qu’elle a de plus indicible. C’est ainsi qu’apparaît la question de la littérature avec l’article de Pierre Gibert qui montre comment une vérité cherche à se dire à travers le récit autobiographique.
On trouvera dans les Mélanges un article inédit de Stanislas Breton sur l’exorcisme et la psychanalyse qui honore le troisième axe de sa réflexion philosophique après la théologie et le marxisme et un article d’Emmanuel D’Hombres qui nous invite à réfléchir sur la notion d’intégration sociale.
Dans les Chroniques régionales, Barbara Capou propose une approche phénoménologique de l’expérience amoureuse et Pierre Gire nous livre des notes sur l’écriture philosophique. Les lecteurs découvriront également les deux allocutions solennelles des professeurs Xavier Lacroix et Paul Moreau prononcées à l’occasion de leur départ à la retraite.
Le numéro se conclut par un bulletin bibliographique de Jean-François Chiron consacré à l’ouvrage de Franck Lestringant, André Gide l’inquiéteur et par les recensions et les tables de l’année.
Résumés des articles du second volume du 17ème tome de la revue Théophilyon
Pierre Gibert - Autobiographie et vérité : une illusion littéraire ?
Mémoires, journaux intimes, confessions ..., chacun n'est-il pas le plus approprié à pouvoir parler en vérité de soi et de sa propre vie ? Et la France, qui fait du genre autobiographique, sous toutes ses formes, le plus honoré de tous les genres littéraires, a même créé à Ambérieux un véritable conservatoire d'archives autobiographiques ; ainsi n'importe quel Français peut y déposer sa propre production. Pourtant, parmi les grands chefs-d'œuvre qui font la littérature d'une langue, le genre autobiographique est celui qui en fournit le moins, en France comme ailleurs. Menacé par la banalité et l'insignifiance, l'ennui qu'il génère le plus souvent confirme sa médiocrité d'écriture. Malgré cela, l'histoire et les historiens font leur miel de cette « littérature » empruntée non tant à ses médiocres auteurs qu'aux témoins inconscients qu'ils peuvent parfois être. La partie est-elle perdue d'avance ? A moins que d'autres raisons que soi-même, d'autres vertus d'écriture, entre humour et colère, n'imposent ici une urgence enfin justifiée.
Jean-Pierre Pierron - Le témoignage ou l'actualité du vrai
Associer le témoignage à la vérité peut surprendre en ces temps qui lui préfèrent la preuve scientifique, la force du démontrable. Pourtant c'est précisément parce qu'il manque de preuve, et qu'il en appelle moins au savoir qu'à la confiance, que le témoignage nous alerte. Ce que la preuve apporte à la vérité, le témoignage le porte. Il est moins de l'ordre de la connaissance comme la preuve que de la reconnaissance. Le témoignage est une épreuve du vrai. Il travaille assez une existence en son témoin pour qu'il atteste en lui une vérité qui le dépasse. Alors la valorisation contemporaine du témoignage - des rescapés de génocides aux témoignages de malades - devient révélatrice d'une modalité du régime de la vérité, refusant dogmatisme et relativisme, propre à notre temps. dans cet article on soutient l'idée que le témoignage serait l'actualité du vrai en son témoin. Dit autrement, il serait une médiation privilégiée mais fragile pour « présenter » le vrai sans pouvoir le démontrer ; une manière de ne pas renoncer à l'universel présent dans l'idée de vérité sans pour autant céder sur la singularité historique de l'existence et des situations.
François Durand - Rendre témoignage à la vérité
Comprise en son sens théologique, la vérité est d'ordre relationnel et évènementiel. Elle dépasse l'adéquation d'un langage à une réalité visée. Elle ne saurait se réduire à une forme de connaissance extérieure, facile à systématiser dans une succession logique de concepts. Ceux qui la cherchent doivent engager tout leur être dans cette quête. Ils y parviennent en endossant la condition de témoins. Le témoignage ne prétend pas saisir la vérité mais être un lieu où celle-ci s'atteste durablement dans l'histoire, un lieu où se dit l'indicible. Il s'exprime dans un fragile récit grâce auquel la réalité divine rejoint le terrain de l'expérience et se donne à rencontrer. En théologie chrétienne, la vérité crue, aimée et espérée est une personne vivante, Jésus-Christ. Dans sa Dogmatique, Karl Barth affirme que le Christ est l'unique Témoin véridique de la Révélation. Le Christ vit en effet dans son Église et continue à parler et à agir à travers ses témoins. Le témoignage chrétien est empreint de foi et d'humilité. Porté par l'Esprit de vérité, il offre à la Parole de Dieu la possibilité de venir au monde et d'être reçue. Sa vérité, dans laquelle les témoins sont personnellement engagés vaut de façon universelle.
Pierre Gire - Témoignage et vérité - Perspective épistémologique
Le témoignage et la vérité se réfèrent, dans leur traduction, à des plans différents de réalité et d'intelligibilité qui ne peuvent pas être confondus à moins de dénaturer leur manifestation. L'implication de la présence humaine dans la médiation de l'affirmation de la vérité exige que soient distinguées des formes de témoignage qui convoquent de manière spécifique le dynamisme de la vie humaine. Il s'ensuit que l'entrelacs du témoignage et de la vérité s'offre comme un rapport affecté d'une infinie complexité. Celui-ci révèle l'inséparabilité de la vérité en son exigence d'expression et du témoignage en sa contingence historique.
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