Présentation du premier volume du 13ème tome de la revue Théophilyon
« Le Jésus historique n’est pas le Jésus réel. Le Jésus réel n’est pas le Jésus historique. J’insiste sur ce paradoxe dès le départ car si l’on ne distingue pas ces concepts,la “recherche du Jésus historique“ se heurte à de perpétuels malentendus. » (John P. Meier, Jesus, A Marginal Jew)
Dans un ouvrage en cours de traduction1, J.P. Meier établit un bilan impressionnant des derniers développements de la recherche au sujet du Jésus de l’histoire. En distinguant entre Jésus réel et Jésus historique, J.P. Meier veut signifier que, à propos de toute personne, il est impossible de reconstituer la totalité de ce qu’elle fut et de ce qu’elle a vécu ; en outre, pour nombre de personnages historiques, le défaut de documents nous empêche de retracer de manière complète leur biographie (cf. les années cachées de la vie de Jésus) : « Le Jésus réel est introuvable et le demeurera à jamais, non point parce que Jésus n’aurait jamais existé —car son existence est une certitude— mais plutôt parce que les sources qui ont survécu n’ont pas et n’ont jamais eu pour but de nous rapporter la totalité, ni même la majorité, des paroles et des actes de son ministère public, et encore moins du reste de sa vie. »2 Le Jésus historique est celui dont nous pouvons (fragmentairement) reconstituer la biographie à partir des documents dont nous disposons.
Le comité de rédaction a souhaité proposer un dossier qui fasse le point des derniers développements de la recherche et de ses répercussions en théologie et dans la vie croyante. La recherche historique au sujet de Jésus représente en effet un double enjeu : il s’agit de ne pas réduire Jésus Christ à un chiffre, signe conventionnel d’une vérité de type gnostique et, d’autre part, d’assumer l’enracinement du Nazaréen tout en soulignant l’universalité du salut advenu en Jésus Christ. Dans un contexte simultanément marqué par la religiosité New Age et la prise de conscience, dans un monde globalisé, de la pluralité des religions, l’enjeu d’une réflexion sur Jésus et Christ ressuscité apparaît donc plus que jamais nécessaire.
Elian Cuvillier présente un bilan de la recherche historico-critique et de ses enjeux quant à l’articulation entre le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi. Jacques Schlosser analyse les conditions, les sources et les contraintes du travail de l’historien qui entreprend de dessiner la figure historique de Jésus. Le bibliste-historien offre son travail au théologien, au philosophe et au croyant. En dogmaticien, Michel Deneken montre à la fois la nécessité et l’insuffisance de cette recherche pour l’élaboration dogmatique. La figure christique a fait l’objet de nombreuses variations philosophiques en Occident ; Pierre Gire en retrace les grands moments. Comment la vie chrétienne est-elle affectée par le regard historique porté sur Jésus ? Xavier Durand propose une relecture de l’existence théologale éclairée par le nouveau regard historique sur les grands moments de la vie de Jésus.
Dans les Chroniques régionales, les lecteurs et les lectrices découvriront une autre manière de se rapporter au texte biblique —la lecture narrative—, grâce au compte-rendu que donne François Lestang du Symposium du RRENAB (Réseau de recherche en Analyse Narrative des textes de la Bible)
Le déplacement de la date de parution (mars et novembre) que nous inaugurons avec cette livraison nous permet de faire part, dès le premier numéro de l’année, des publications des enseignant(e)s de nos deux Facultés pour l’année écoulée ; on les découvrira dans les Notes bibliographiques, à la suite des recensions.
Résumé des articles
Michel Deneken - Élaboration dogmatique et quêtes de Jésus
Indispensable à la construction du discours croyant, le recours à l'investigation historique se révèle toutefois insuffisant pour appréhender le caractère unique de Jésus Christ. L'unicité de Jésus Christ ne procède pas seulement de ses racines juives, mais tout autant de la reconnaissance, par la communauté chrétienne, de la Révélation qu'il incarne et de la Tradition qu'il fonde. Pour cette raison, aussi nécessaires qu'elles soient, les « quêtes » successives du Jésus de l'histoire ne peuvent rendre compte du mystère de l'incarnation qui fonde la foi des chrétiens et l'élaboration du discours ecclésial qui l'atteste. Le dogme ne parle pas au sujet de Jésus, mais à partir de lui ; en effet, celui dont l'Église affirme qu'il est vrai Dieu et vrai homme n'est pas un autre que Jésus de Nazareth.
Xavier Durand - Jésus à la rencontre de l'historien et du croyant
Il est possible au croyant de sortir découragé par les résultats changeants et contradictoires de la recherche historique sur Jésus. À condition de respecter le mouvement de la recherche historique et le mouvement des cheminements de la foi, le croyant peut espérer trouver dans de nouvelles recherches de nouveaux accents pour vivre toutes les dimensions de l'existence chrétienne : foi, espérance et charité. À partir de trois champs d'étude dans l'histoire de Jésus sans cesse retravaillés : le ministère en Galilée, la double reconnaissance de Jésus comme prophète et sage, le constat de l'échec que signifie la mort sur la croix, il est proposé de regarder ce qui peut attirer le croyant dans ces nouvelles perspectives et comment il se situe en même temps dans le mouvement de son époque.
Elian Cuvillier - Jésus de l'histoire et Christ de la foi - Quelques points de repère
L'article traite la question du Jésus de l'histoire et du Christ de la foi du point de vue de l'exégèse historico-critique. Six points sont successivement abordés. D'abord un bref survol de l'histoire de la recherche du XVIIIe siècle à nos jours rappelle le caractère contingent donc forcément provisoire de toute recherche. Secondement, un rappel des principales sources à notre disposition pour reconstruire la figure historique de Jésus nous renvoie aux quatre évangiles comme source principale sinon unique de l'enquête. En troisième lieu sont présentés les principaux critères permettant de se prononcer, quoique de façon toujours provisoire, sur les ipsissima verba de Jésus. Les trois derniers points sont consacrés à trois questions classiques dans le débat sur le Jésus historique : son activité de thaumaturge, son rapport à la Torah, enfin la question de la résurrection. En conclusion, il est rappelé que si l'historien peut légitimement s'interroger sur la vie et l'œuvre de Jésus de Nazareth et en constater les effets dans l'histoire, la « connaissance » de Jésus comme Christ ne relève pas du « savoir » mais de la confession de foi.
Pierre Gire - La philosophie devant le Christ
Dans l'histoire de la philosophie occidentale il existe une christologie philosophique dont témoignent les textes des philosophes. L'analyse de ces textes permet de faire apparaitre quelques modèles de conceptualisation de la figure du Christ. Ces modèles traduisent la complexité de l'interrogation critique de la philosophie devant le Christ. Cette interrogation révèle le développement d'un processus de symbolisation affranchi du contexte historique de Jésus, de la compréhension exégétique et de l'affirmation dogmatique dans l'Église. L'effort philosophique de symbolisation fait surgir quelques enjeux, dans le rapport au Christ, de type anthropologique, cosmologique et sotériologique. Il reste que la philosophie se trouve affrontée à la figure du Christ dans ce qu'elle recèle d'énigmatique: l'unicité de l'homme/Dieu et le scandale de la Croix.
Jacques Schlosser - Rigueur et intuition dans la recherche historienne sur Jésus
Après avoir établi la légitimité d'une recherche proprement historienne sur Jésus, on propose d'abord un aperçu sur les problèmes et les méthodes en histoire, en tirant profit de la vitalité des études historiques en France durant le 20e siècle. Quant aux sources, on reste réservé devant la promotion récente des textes apocryphes et on maintient que les évangiles synoptiques et leurs propres sources doivent être privilégiés en raison de l'importance de leurs données. Pour remonter des textes à Jésus le chemin est devenu plus difficile aujourd'hui en raison d'apports nouveaux sur le phénomène complexe de la tradition ; on ne peut plus faire de la critique littéraire aussi naïvement qu'autrefois, mais ce n'est pas une raison d'abandonner l'analyse des textes qui a pour but d'en dégager la forme la plus ancienne. Une discussion abondante s'est portée sur les critères d'authenticité. Largement contesté dans plusieurs publications récentes, le critère, naguère dominant, de la double dissimilarité doit-il être tout à fait abandonné ? Probablement pas. Pour l'interprétation de ce qui paraît central dans la prédication de Jésus, à savoir son message sur le règne de Dieu, le consensus actuel sur la pleine insertion de Jésus dans le judaïsme s'accompagne d'un risque : on tend à donner plus d'importance à un schéma d'ensemble bien attesté dans le judaïsme commun qu'à l'analyse des vestiges évangéliques dans leur ensemble. La tension fascinante entre contraintes et liberté ne semble pas pouvoir être résolue de la sorte.
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