Work in Progrè(s) : 170 étudiants à l'épreuve de la crise

Exfiltration à Tokyo, contamination d'un Ehpad, prise d'otage dans un data center... Découvrez comment ces scénarios de jeu de rôle ont aidé 170 étudiants à mieux comprendre la gestion de crise lors du hackathon du projet de recherche Work in Progrès(s), qui prenait place à l’UCLy. Un exercice aussi passionnant que difficile, qui avait pour but de préparer les étudiants aux crises bien réelles qu’ils pourraient rencontrer dans leur vie professionnelle, mais aussi de nourrir la Recherche sur l’impact des crises sur les organisations et sur l’humain..

Il est 9h du matin, heure française. 17h sur le terrain à Tokyo. Les équipes d’étudiants rassemblés dans le grand amphithéâtre sont jetés, sans avertissement, dans une situation de crise. En seulement trente minutes, ils doivent coordonner tous les éléments d’une extraction de VIPs à haut risque dans la capitale japonaise. Finance, logistique, transport et même communication avec des commandos sur le terrain, tout est sous leur contrôle... Cet exercice, conçu et animé par les équipes de l’entreprise HumanXperience, sert de prologue à une journée de jeux de rôles, d’exercices en immersion et de partage d’expérience. Ce « hackathon » inter-écoles était organisé dans le cadre du programme de recherche Work in Progrès(s) piloté par l’AGERA (Alliance des Grandes Ecoles Rhône-Alpes Auvergne) et animé par l’UR CONFLUENCE : Sciences et Humanités.

170 étudiants de l’Esdes, mais aussi BSB, INSEEC, IDRAC, IAE Saint-Étienne, EN3S et IRUP étaient mobilisés. L’objectif : les aider à mieux comprendre et mieux se préparer aux crises que peuvent vivre les entreprises et les institutions publiques, en combinant travail théorique et exercice en immersion.

Après cette mise en bouche de haute voltige, les étudiants font face en groupe à des crises fictives plus prosaïques… Mais aussi plus réalistes. Aux manettes d’une mairie du sud de la France, ils doivent gérer les conséquences d'un épisode cévenol particulièrement intense. Il leur faut gérer à la fois une pollution du littoral et la contamination de l’eau potable d’un Ehpad par la bactérie e-coli. Dans le monde du privé, le dialogue social prend une tournure dangereuse avec une prise d’otages dans un data center, lorsqu’un employé, désespéré, se barricade dans la salle des serveurs...

Objectif : Garder son calme !

Pendant 4 heures, les équipes d’étudiants vivent au rythme de l’évolution de ces situations de crise, à mesure que de nouvelles informations leur parviennent du « terrain »… Des enseignants des différentes écoles participantes assurent l’encadrement et l’appui tandis qu'une poignée d’étudiants volontaires représentent les différentes acteurs des organisations en crise (média, familles des victimes, syndicats, fournisseurs, associations…). À la mairie, il faut assurer des distributions d’eau potable et tempérer la colère des pêcheurs, pendant que le prestataire en charge du traitement des eaux usées enquête et que l’opposition s’empare de l'incident pour exiger un passage en régie publique. Du côté du data center, il faut jongler entre négociations avec le forcené, arrivée de la police, et inquiétudes des clients qui craignent de voir leurs données confidentielles fuiter sur internet… Un exercice de jonglage et de coordination qui exige de gérer le stress et de savoir prioriser.

« Le premier but de cet exercice, c’est tout simplement de voir si un étudiant est à l’aise ou non pour gérer une situation de crise » explique Virginie Cartier, coordinatrice de Work in Progrès(s). « On se rend compte quand on est adulte en entreprise que, participer à la gestion de crise ça fait partie de notre ADN, ou pas. Savoir gérer ces situations, et surtout savoir qu’on ne sait pas tout gérer, c’est une donnée importante lorsqu’on cherche un emploi ! Un étudiant moins résilient n’est pas mauvais, mais, si, dans une situation de crise, il ne peut pas dépasser la phase de sidération, il risque d’être très malheureux. »

« Savoir gérer une situation de crise, et surtout savoir qu'on ne sait pas tout gérer, c'est une donnée importante lorsqu'on cherche un emploi ! »
- Virginie Cartier, coordinatrice de Work in Progrès(s)

Dans l’ensemble, les étudiants mobilisés tiennent la barque, que ce soit face aux multiples acteurs de chaque scénario ou face aux journalistes. Lors de l’exercice difficile d’une conférence de presse simulée, le « PDG » présente un mur impénétrable, parvenant à tenir son message quelles que soient les attaques déployées par des « médias » plutôt hargneux. De son côté le « maire » se montre un peu plus friable. Embarqué par une question piégeuse, il se retrouve à promettre de « bétonner mieux » le beau littoral languedocien. Une petite phrase maladroite qui sera sans doute brandie pour longtemps par son opposition. Mais son équipe pourra tout de même se vanter. Tous les résidents de l’Ehpad contaminés sont sains et saufs et l'eau potable est de retour au robinet… L’objectif numéro 1 est atteint !

Une simulation au service de la réalité

Mais pourquoi confronter des étudiants à ces situations imaginaires ? « Ce projet est né d’une demande de l’Agence Nationale d’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT), qui a commandé à des enseignants chercheurs et experts de construire un kit pédagogique pour former à la crise les étudiants de l’enseignement supérieur » explique Virginie Cartier. « Il s’agit non seulement de former les étudiants, mais aussi de les sensibiliser à comprendre l’impact des crises sur les conditions de travail et sur l’humain. »

La journée d’immersion vécue par les étudiants présents était un test grandeur nature, issu du parcours pédagogique conçu par 12 chercheurs et experts de l’enseignement supérieur. Ce volet de gestion de crise en immersion est en réalité l’ultime étape du parcours, précédé par un travail de fond sur la théorie, mais aussi la conception de scénarios de crises par les étudiants. « Il s’agit aussi de les faire passer de l’autre côté du miroir » explique Virginie Cartier.

Ainsi, le travail des uns vient enrichir le travail en immersion des autres... Ce travail d’itérations et d’enrichissement de cet outil pédagogique au côté des étudiants se poursuit toujours ! Après une phase de retours et de nouveaux ajustements, ce kit pédagogique sera rendu public au travers d’un livre blanc. Il pourra bientôt profiter à l’ensemble des étudiants et des enseignants intéressés par l’étude des situations de crise.

« Une crise n’est jamais identique à la crise précédente »

Avec ce travail, enseignants et étudiants identifient de nombreux points d’amélioration et de compétences à développer pour gérer au mieux une véritable situation de crise. « Il faut être proactif, il faut faire attention aux autres et savoir comment adapter l’organisation dans le respect des conditions de travail. Il y a forcément pendant et après la crise des choses qui vont changer » détaille Virginie Cartier. « Enfin, il faut apprendre à communiquer clairement. » Lors du hackathon final, ce travail de longue haleine porte ses fruits.  « On a bien vu que les étudiants ont déjà beaucoup progressé » ajoute Nathalie Teissier, enseignante à l’Esdes. « Par rapport au premier exercice, ils sont déjà plus calmes, plus engagés, plus décisifs !»

Le mot final du hackathon a été donné à Pierre Clousier, directeur d'usines classées Seveso pour l'entreprise Arkéma. Pour lui, issu d'un environnement à risque ou les crises sont des évènements d'envergure nationale voire internationale, cet apprentissage offert aux étudiants est une idée à généraliser. « Tous les étudiants, quel que soit leur poste, quel que soit leur domaine, auront un jour pendant leur carrière une crise à gérer.» explique-t-il pendant cette conférence de clôture. « Les formes, le timing, l'importance pour le public peuvent être différentes... Mais elles sont toujours importantes pour ceux qui les vivent. »

« La gestion de crise s’effectue en quatre phases. D’abord, la prévention et l’anticipation, pour identifier les risques et les mitiger. Ensuite, la préparation à la gestion de crise, savoir qu’une crise est inévitable et qu’il faut toujours avoir des protocoles pour la gérer. Après il y a celle à laquelle on pense le plus, la gestion active, ce qu’on fait dans les minutes et les heures qui suivent une crise. Et enfin quelque chose que l’on oublie souvent, le retour d’expérience pour apprendre et s’adapter. »
– Pierre Clousier, Directeur d’usine classée Seveso chez Arkéma

Au-delà de la gestion immédiate, la préparation aux impacts à long terme d’une crise est un élément à part entière de cet apprentissage. « La gestion de crise, c’est aussi un travail sur le sujet de la vulnérabilité des salariés. Il s’agit de faire attention à l’humain. Il faut arriver à penser deux moments distincts, pendant la crise et après la crise, et à le faire sentir aux étudiants pour qu’ils soient plus sensibles. » De cette manière, le projet Work in Progrès(s) s’intègre aux travaux de l’Unité de Recherche CONFLUENCE : Sciences et Humanités de l’UCLy et au projet de recherche transversal sur les notions de vulnérabilités. Les résultats du projet seront dévoilés le 25 novembre, lors du colloque de clôture intitulé « Faire face aux crises en veillant à la qualité des conditions de travail » à l’UCLy. Des recherches et un apprentissage toujours nécessaires, car comme le rappelle Pierre Clousier : « Une crise n’est jamais identique à la crise précédente. »

Crises et vulnérabilités

Chaire d'Université Vulnérabilités : La crise, un levier d'espérance ? Chiara Pesaresi, directrice de la Chaire Vulnérabilités de l'UCLy, lors du colloque de la Chaire

Depuis deux ans,la Chaire d’Université Vulnérabilités interroge la succession de crises de notre société contemporaine, les effondrements et les menaces qui pèsent sur ses institutions et ses systèmes de médiation sociale. L’ensemble de ces réflexions a abouti les 25 et 26 octobre 2023 au colloque final de la Chaire et à une thèse provocante d’optimisme : « Réapprendre le commun à l’épreuve de la vulnérabilité. La crise, un levier d’espérance ? »

Les Vulnérabilités, au cœur de la réflexion de l’UCLy photo d'une feuille

La question des vulnérabilités a conduit à la création d’une Chaire d’Université dédiée à ce thème, permettant à la fois de le préciser par un travail de recherche, et d’en explorer les aspects sociétaux, en mettant en relation, dans le cadre de la chaire, des universitaires, des entrepreneurs, des acteurs économiques et sociaux, et des acteurs ecclésiaux.